en face de l'abbe, tout son calme sembla l'abandonner.
--Parlez maintenant! dit-il d'une voix emue. Qu'y a-t-il?
--On s'est introduit ce soir dans le jardin.
--Un maraudeur?
--Un espion envoye par le Club.
--Nous sommes donc decouverts?
--Pas encore. Mais on croit que nous sommes des agents de Pitt.
--Si ce n'est que cela, dit le marquis en souriant, rassurez-vous, cher
abbe; nous en serons quittes pour la peur. Je me charge de rassurer ces
messieurs de la Societe populaire.
--C'est toujours un danger de paraitre devant eux.
--Sans doute. Toutefois, personne ne nous connait ici. Nous n'avons rien a
craindre.
--Pardon.
--Qui donc?
--L'homme du peuple que le Club a envoye, ce soir, en eclaireur.
--Il nous en veut donc beaucoup?
--Au contraire.
--Il est bien dispose pour nous?
--Trop bien.
--Ma foi! dit le marquis en badinant, voila le premier republicain qui nous
ait montre de la bienveillance!
--Et ce sera peut-etre celui qui vous aura fait le plus de mal! dit l'abbe
d'un air sombre.
Le marquis devint serieux.
--Expliquez-vous, dit-il avec gravite. Il y a dans vos propos une
incoherence qui ne peut se concevoir. Si cet homme n'a pas de motif de
haine contre moi, pourquoi songerait-il a me nuire?
--Il vous nuira sans le savoir, repondit l'abbe. Car il faut tout craindre
des amoureux; et cet homme aime mademoiselle Marguerite.
--Ma fille! s'ecria le marquis avec une expression de surprise et de
colere, que le pinceau serait seul capable de rendre et de fixer.
--Oui, reprit l'abbe, cet homme aime serieusement votre fille.
--Mais, dit le marquis, Marguerite ne sort jamais; elle ne se montre jamais
aux fenetres. Comment cet homme a-t-il pu la voir?
--Je ne sais. Mais je vous affirme que je ne vous dis que l'exacte verite.
--Il vous a donc ouvert son coeur?
--A peu pres. Je peux meme vous assurer qu'il est jaloux.
--Alors il faut fuir! dit le marquis avec eclat. Il faut passer en
Angleterre.
Puis, se promenant avec agitation dans la chambre:
--Moi, dit-il, qui me croyais si bien en surete dans cette petite ville!
A cet instant la porte s'ouvrit. Marguerite entra avec le vieux domestique,
qui tenait sous son bras le grand livre de depense.
--Mes amis, dit le marquis aux nouveaux venus, nous allons partir cette
nuit meme. Que chacun prepare ses malles. Demain nous faisons voile pour
l'Angleterre.
--Ah! fit Marguerite en sautant au cou de son pere, je sa
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