pas pour moi que je parle. Je ne me plains pas. Mais je
voudrais te savoir heureux; je voudrais te voir triompher d'un moment de
decouragement. Allons, mon fils, de l'energie, et souviens-toi que si le
devoir du riche est dans la charite, celui du pauvre est dans le travail.
--Le travail! le travail! repeta Francois en redressant fierement la tete,
c'est ce que je demande au ciel! Car je ne suis pas de ceux-la--Dieu
merci!--qui se croisent les bras et se complaisent dans une vie d'oisivete.
J'ai de la force, du courage, je suis jeune et je veux travailler pour
vous, ma mere. Mais ne me forcez pas a croupir dans Bretteville. Pierre
Vardouin m'a ferme l'entree de son chantier? Eh bien! j'irai chercher
fortune ailleurs. Je ferai comme tant de maitres de l'oeuvre qu'on voit
courir le monde, offrant leurs services a qui les veut bien payer.
--Tu consens donc a abandonner ta mere?
--Non pas, vous me suivrez; je vous rendrai tous les soins dont vous avez
entoure mon enfance. Et vous serez heureuse, car j'aurai de l'or; et vous
serez fiere, car j'aurai de la gloire!
Les yeux de Magdeleine etaient tournes vers le ciel. Deux grosses larmes
roulerent sur ses joues, tandis que ses levres s'agitaient faiblement,
comme si elle eut adresse a Dieu une fervente priere.
--Vous pleurez, ma mere? dit Francois.
--J'esperais, repondit tristement Magdeleine, mourir a Bretteville et
reposer pres de la tombe de mon mari.
--Je vous promets de revenir tous les ans au pays. Vous pourrez alors
accomplir votre pieux pelerinage de Norrey. Allons, ma mere, repoussez a
votre tour ces funebres pensees. Voyez, j'ai presque oublie l'insulte de
Pierre Vardouin et je me sens plein d'ardeur, depuis que j'ai pris une
forte resolution. Avec l'argent qui nous reste, nous irons a Caen. J'y
trouverai de l'ouvrage et nous commencerons bientot notre tour de France.
Un coup de main, ma mere; vous serez plus habile que moi a empaqueter mes
vetements.
--Volontiers, puisque c'est ta volonte bien arretee, soupira Magdeleine.
Et le fils et la mere commencerent leurs preparatifs de voyage.
Apres la brusque sortie de Francois, Marie, qui connaissait le caractere
irritable de son pere, se decida a quitter la chambre sans avoir essaye de
justifier son amant ou du moins d'implorer son pardon. Cette resolution lui
coutait cher, car elle se sentait bonne envie de se jeter aux genoux de
Pierre Vardouin et de donner un libre essor a sa douleur. Mais elle pensa
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