son directe de
leur ignorance,--parlaient deja librement sur son travail a mesure qu'il
approchait de sa fin. On n'aimait pas la forme des gargouilles, qui
vomissaient l'eau du sommet du corps carre; la fleche ne s'annoncait pas
bien, elle etait trop massive, elle ne s'elancait pas gracieusement dans
les airs. Ces commentaires ne se faisaient pas a huis clos ou a voix basse;
car le desir de se faire remarquer entre pour beaucoup dans l'esprit de
ceux qui les font. Bien que Pierre Vardouin ne le cedat a personne sous le
rapport du contentement de soi-meme, bien qu'il fut convaincu de sa
superiorite, il fut blesse au coeur par ces critiques malveillantes.
Un dimanche, en revenant de l'office avec sa fille, il passa pres d'un
groupe qui s'etait forme a l'entree du cimetiere, comme pour mieux examiner
les travaux. Il preta l'oreille, esperant saisir au vol quelques-uns de ces
mots flatteurs si agreables a la mediocrite. Helas! l'orateur de la troupe
faisait une satire. Pierre Vardouin hata le pas et entraina sa fille sous
le porche de sa maison. Il monta au premier etage, entra dans sa chambre et
se jeta, tout decourage, sur une chaise. Sa fille, une jeune fille de seize
ans, aux cheveux blonds, aux yeux purs comme un beau ciel d'ete, une de ces
adorables natures qui vivent de devouement, devinent vos douleurs et
s'ingenient toujours pour vous consoler, voyant l'accablement du vieillard,
s'approcha de lui, prit ses mains et lui demanda la cause de son chagrin.
--Je crois savoir; dit-elle, le motif de votre mecontentement. Mais laissez
parler vos ennemis. Leurs ameres critiques passeront comme le vent, et
votre ouvrage restera pour dire votre nom et votre gloire aux ages futurs.
Le vieillard rougit legerement, en voyant sa pensee si bien mise a nu. Il
regretta de ne pas avoir mieux cache sa faiblesse et ne chercha plus qu'a
dissimuler la honte qu'il en eprouvait.
--Que tu es jeune, ma pauvre Marie! dit-il en regardant sa fille d'un air
de compassion. Les epigrammes de ces lourdauds ne peuvent que s'aplatir en
m'atteignant. J'ai le droit de les mepriser. Ce que tu as pris pour les
souffrances de l'humiliation, c'etait tout simplement une des mille
souffrances de ce miserable corps qui se vieillit. Car je souffre
affreusement! Ma tete est lourde... Le sang me brule!... je suis altere.
C'est cela meme, ajouta-t-il en voyant sa fille courir vers une armoire et
lui rapporter une coupe pleine de vin. Cela me calmera peut-etre
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