une reserve continuelle, souvent meme un _vous_ desesperant, que
l'expression de _mademoiselle_ rendait plus outrageant encore. Oh!
combien eut a souffrir notre aimable orpheline! que les matinees qu'elle
passait toute seule dans son appartement lui parurent longues et
penibles! De quels coups son noble coeur etait dechire chaque fois
qu'elle retrouvait au salon son indifferente compagne! Avec quel
empressement elle eut fui de ce chateau, ou tout pour elle devenait
contrainte, souffrance, humiliation!... Mais son pere etait absent; il
l'avait confiee aux tendres soins de madame Valcour, qui lui tenait lieu
de mere. Reveler a cette dame si distinguee tout le mal que sa fille
lui faisait endurer, c'eut ete faire retomber sur celle-ci de justes
reproches, c'eut ete rompre avec elle pour jamais. Estelle aimait encore
Melanie; elle ne desesperait pas de regagner son coeur et de la faire
repentir d'avoir meconnu a ce point les devoirs sacres de l'hospitalite.
Elle s'arma donc de nouvelles forces; elle resolut de sacrifier ce
qu'elle avait de plus cher, ce qui, dans sa position sociale, pouvait
peut-etre devenir son unique ressource, c'est-a-dire ce droit si
flatteur et si legitime de briller par son savoir et ses talents, de se
faire distinguer par les qualites de l'esprit et du coeur. Elle pretexta
d'abord un derangement dans sa sante, s'isola constamment au milieu
des cercles nombreux dont, chaque jour, elle etait entouree, et laissa
bientot l'ambitieuse Melanie etaler a son aise tous les avantages
qu'elle reunissait, et recueillir les applaudissements d'un cercle
nombreux et choisi.
Plusieurs mois s'ecoulerent sans que la genereuse Estelle vit diminuer
son chagrin. Melanie, qui ne pouvait soupconner un sacrifice dont jamais
elle n'eut ete capable, profita de l'espece d'inertie ou paraissait
etre tombee sa rivale pour l'eclipser tout-a-fait. Elle s'imaginait la
dedommager amplement en la tutoyant encore quelquefois, en lui faisant
quelques prevenances etudies, que son amie recevait toujours avec
empressement, esperant encore la ramener a des sentiments dont son noble
coeur avait besoin.
Le brave Mornand revint des eaux, gueri presque entierement de ses
blessures. Il s'empressa de se rendre a la terre de la famille Valcour
et de rejoindre sa chere Estelle, qu'il n'avait pas vue depuis
longtemps. Malgre la joie qu'eprouva cette tendre fille a la vue de son
pere, malgre tous les efforts qu'elle faisait pour dissiper les nu
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