alheur arrive la veille, que M. de
Montbreuil avait passe la nuit dans la plus vive agitation, et que ces
paroles s'echappaient a tout moment de ses levres tremblantes: "Ne
pouvoir plus rendre le depot qui m'etait confie!... Causer la ruine, le
desespoir d'une honnete famille!... Melina!... Melina!... que tu me fais
de mal!" Ces mots, fidelement rapportes pas le domestique, jeterent miss
Touche-Tout dans un douloureux abattement. Oh! quel retour elle fit sur
elle-meme! Avec quelle resolution elle se promit de rompre pour jamais
avec cette manie qui mettait son pere dans un embarras si cruel! Mais
il n'etait plus temps: le mal qu'elle avait fait allait retomber sur
elle-meme.
Cependant l'audience solennelle va avoir lieu. Un nombreux concours
de monde s'est forme de bonne heure au palais de justice. L'honnete
negociant, place derriere son avocat, fait remarquer sur sa figure la
securite de la bonne foi, la certitude de triompher. Son adversaire
est plus inquiet, plus agite. Tous les regards se portent sur l'un
et l'autre; mais c'est sur le premier que semblent s'arreter ceux de
l'interet public. Il est toujours, dans les causes importantes, une
espece de jugement precurseur qui venge l'innocence opprimee; et c'est
pour cela qu'on a dit: "_La voix du peuple est la voix de Dieu._"
Apres une longue deliberation, dans laquelle avait eu lieu un violent
choc d'opinions, les juges reviennent prendre leurs places. M. de
Montbreuil est pale, son regard semble egare. Il se fait un grand
silence, et ce magistrat, si universellement honore, prononce d'une voix
faible et tremblante l'arret qui condamne le negociant, et decharge
le faiseur d'affaires du payement des cent soixante mille francs. Un
murmure sourd et improbateur se fait entendre dans le pretoire. Ce qui
surprend et confond l'avocat du condamne, c'est que le president, dans
les divers considerants sur lesquels l'arret est base, n'ait point parle
de l'ecrit important qui lui avait ete confie, et qui devait etre d'un
si grand poids dans la balance de la justice. Le negociant ne sait
lui-meme a quoi attribuer un pareil silence; et, comme le malheur
rend defiant et soupconneux, il allait accuser tout haut l'honorable
magistrat, lorsqu'un huissier vient lui annoncer que M. le president
l'attend dans son cabinet avec son avocat. Ils s'y rendent tous les
deux. A leur aspect, M. de Montbreuil dit au condamne, dont il serre la
main avec l'expression du regret et d'une profonde e
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