eux, en reportant a ceux-ci ce qu'avaient fait ceux-la: tout ce qu'ils
disaient sur leurs maitres, souvent par simple reflexion, etait aussitot
reporte, comment par la bavarde intarissable. De la, des reprimandes
severes a d'anciens serviteurs qui, de leur cote, fidelement instruits
par la gazette ambulante des plaintes de leurs maitres, ralentissaient
leur zele pour ceux dont ils n'avaient recu jusqu'alors que des preuves
d'estime et de satisfaction.
Un jour, entre autres, le valet de chambre du president se plaignit a
son maitre de ce qu'on paraissait mecontent de son service, et lui en
demanda la cause avec cette franchise d'un honnete homme qui se croit
irreprochable. M. de Saintene lui proteste que jamais il n'avait emis la
moindre plainte sur son compte. Le vieillard cite mademoiselle Celina,
qui lui avait rapporte tel et tel fait.
Le president, toujours empresse de faire eclater la justice, appelle
devant lui la jeune indiscrete; celle-ci rougit, balbutie, et avoue
qu'en reportant a sa mere adoptive quelques mots qu'elle avait entendus,
elle en avait peut-etre mal exprime l'intention.... "Que ce soit la
derniere fois! lui dit M. de Saintene d'une voix forte, et reprimant,
non sans effort, un mouvement de colere: j'ai cru deja m'apercevoir que
vous etiez sujette a cette vile et dangereuse manie de reporter aux uns
ce que vous entendez dire aux autres. C'est un metier meprisable. Jugez
de l'opinion qu'il donnerait de vous dans le monde: on vous y fuirait
comme ces animaux malfaisants qui vont rodant partout, pour y jeter
le desordre et l'effroi. Bientot je me verrais moi-meme force de vous
renvoyer a ceux qui eleverent votre enfance; alors, sans parents, sans
appui sur la terre, quel serait votre sort? reflechissez-y bien; et, en
attendant, faites vos excuses a ce digne vieillard, que vous avez si
injustement tourmente. Je suis indulgent pour les espiegleries de votre
age, souvent meme je m'en amuse; mais les vils penchants qui degradent
le coeur, jamais je ne les tolere...." L'austere president sort a ces
mots, laissant Celina stupefaite, noyee de larmes, et se proposant bien
de ne plus se livrer a cette funeste manie qui lui attirait de pareils
chagrins, d'aussi grandes humiliations.
L'espiegle Celina fut peut-etre retombee dans ses funestes habitudes,
sans un evenement qui frappa sa jeune imagination, et lui prouva de quel
devouement la discretion rend capable un noble coeur sentant bien toute
sa dignite.
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