ait adoucir sa cruelle position, elles
reparaient la cessation de travail a laquelle etait reduite la pauvre
infirme en devidant avec leur gouvernante, dans leur appartement au
chateau, la soie confiee a la mere Durand, travail fastidieux, mais
devenu son unique ressource. Emu de ce genereux devouement, qui lui
donnait l'explication des promenades du matin, et de l'espece de
retraite a laquelle Celine et Louisa paraissaient vouloir se condamner,
l'officier de marine confia ce trait de bienfaisance au digne pasteur,
qui me l'a rapporte, et dont la pieuse sollicitude resolut de profiter
pour attirer sur la malheureuse veuve l'interet et la consideration de
tous les habitants du pays.
La fete patronale du village avait rassemble beaucoup de monde au
chateau de Cange. La mere Durand, deja plus qu'a moitie guerie de
son infirmite, s'y etait rendue sur l'invitation de ses deux jeunes
bienfaitrices, qui croyaient que leur secret restait ignore, la bonne
vieille leur ayant promis de ne jamais le reveler. Elle fut abordee,
dans la foule, par quelques fabricants de soieries qui lui donnaient de
l'ouvrage, et s'etonnaient qu'avec un bras en echarpe elle put repondre
a leur confiance avec autant d'exactitude. La pauvre femme rougit
et balbutia. Ses regards, en ce moment portes sur Celine et Louisa,
semblaient leur dire: "Ne craignez rien, je n' vous trahirai pas." Mais
le venerable pasteur, qui saisissait toutes les occasions d'exciter la
charite chretienne, designe a ceux qui l'entourent les deux charmantes
soeurs comme les anges tutelaires de la mere Durand, et divulgue tout ce
qu'elles avaient fait pour la secourir.
Cette revelation produisit l'effet qu'en attendait le digne vieillard.
Les jeunes villageoises des environs, en applaudissant au trait de
bienfaisance des deux demoiselles du chateau, se reprocherent de s'etre
laisse prevenir, et se promirent de profiter de l'exemple qu'elles leur
donnaient. Elles arreterent que deux d'entre elles feraient tour a tour
le service de la semaine aupres de la respectable veuve et l'aideraient
dans ses travaux. Chaque dimanche, a la sortie de la messe, toutes les
jeunes filles tiraient au sort, et celles qu'il designait allaient
s'etablir a la chaumiere de la veuve, et la soignaient comme une tendre
mere. Jamais le devidage de la soie n'avait ete aussi productif. Mais
ce qui vint mettre le comble au bonheur de la pauvre femme, entierement
retablie de son infirmite, c'est que les jeunes
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