ns l'endroit defendu. Bientot sa vue est rassasiee
des divers objets qui la frappent; et, entrainee par son etourderie
naturelle, elle lance son volant dans ce beau reduit, dont le plafond
est eleve, et dont les rideaux cramoisis repandent partout une
lueur rosee dont ses yeux sont charmes. Mais, o douleur! o malheur
irreparable! la jeune etourdie, en voulant empecher le volant de tomber
sur l'encrier du bureau de travail, etend sa raquette avec imprudence,
et renverse le beau buste de Lamoignon de Malesherbes, qui roule en
mille morceaux sur le parquet.
Aux cris que pousse l'infortunee, accourt sa soeur adoptive, qui passait
par hasard dans le corridor. A l'aspect de ces debris d'un objet si
precieux, elle cherche vainement a consoler, a rassurer la coupable.
Celle-ci ne cesse de repeter: "Je suis perdue!... jamais, non jamais il
ne me pardonnera! O funeste curiosite! que tu me couteras cher!..." Mais
ces justes craintes redoublent lorsque, a travers les carreaux d'une
fenetre, Celina, respirant a peine, apercoit le president qui rentre.
"Va-t'en, et laisse-moi faire, lui dit Isaure vivement et d'un air
inspire. Tout ce que je te demande, c'est de garder le plus profond
silence." Celina se sauve et laisse sa soeur adoptive ramassant les
morceaux du buste epars ca et la.
Celle-ci entend avec effroi M. de Saintene ouvrir la grande porte
d'entree de son cabinet; et, connaissant toute sa severite, calculant
les dangers auxquels l'expose le projet qu'elle a concu, elle devient
pale, tremblante. Le president, a l'aspect d'Isaure, dont la posture
est suppliante, et dont la voix alteree ne peut prononcer que ces mots:
"Grace!... grace, mon pere!..." est convaincu que c'est elle qui l'a
prive de l'objet le plus precieux, de ce buste que, jeune encore, il
avait recu des mains du celebre Lamoignon, son parent: cedant alors a
son depit, a sa colere, il ne peut a son tour proferer que ces mots
d'une voix horrible et d'un geste menacant: "Sortez, malheureuse!...
sortez!... ne reparaissez jamais devant moi!..." Isaure obeit en jetant
sur lui un dernier regard plein d'expression, et se soumet sans se
plaindre au chatiment qui lui est impose.
Pendant cinq jours entiers, l'exilee subit l'arret qu'avait prononce M.
de Saintene. Elle resta dans son appartement, ou l'on presume sans
peine que Celina lui rendait les plus tendres soins. Qu'on se figure
l'embarras et l'emotion de cette derniere, chaque fois que leur mere
adoptive venait
|