de bonheur. Leontine, qui partageait les gouts de sa mere,
s'amusait souvent avec elle des essais, quelquefois infructueux, que
faisait le baron; elle avait pris insensiblement un dedain remarquable
pour tout ce qui tient aux productions de la terre. Vainement son pere
cherchait-il a vaincre cette ignorance totale de tout ce qui peut etre
bon, utile, indispensable aux besoins de la vie; la jeune incredule
riait de toutes ces remarques, et s'imaginait qu'on etait bien dupe
de tant s'agiter, de tant travailler aux choses qui venaient tout
naturellement. Elle etait convaincue que l'agriculture n'est utile
qu'a employer un grand nombre de malheureux, et que partout on trouve
l'abondance avec de l'or.
La terre du baron n'etait qu'a une demi-lieue du chateau de Grammont,
bati en face de l'avenue qui conduit a la ville de Tours, cette superbe
avenue qui traverse le Cher, d'immenses prairies et les champs fertiles,
appelee les _Varennes_, ou l'agriculture est portee au plus haut degre
de perfection. Ce chateau de Grammont, dont la situation est ravissante
et domine sur le beau jardin de la France, avait de tout temps ete
possede par les personnages les plus marquants de la contree; et les
proprietaires du jour y attirent, pendant l'ete, de nombreux visiteurs.
Il y avait une grande reunion dans ce sejour enchanteur, et le baron de
Brevanne y etait invite avec sa femme et sa fille. Toutes les deux se
faisaient une fete d'y assister; mais la baronne s'etait donne une
entorse dans son parc, et il fut convenu que son mari se rendrait avec
Leontine au chateau de Grammont.
Celle-ci prepare, en consequence, une toilette recherchee, s'imaginant
faire le trajet en caleche; mais c'etait le soir d'une belle journee
du mois d'aout, et M. de Brevanne etait avide de traverser, en se
promenant, ces champs couverts de moissons, que l'on commencait a
recolter; il ne trouvait rien de comparable a ce tableau ravissant de
tous les agriculteurs qui recueillent le fruit de leurs travaux. Il
propose donc a Leontine de se rendre a leur destination en se promenant,
afin de mieux respirer la fraicheur du soir, et de prendre un exercice
salutaire. La jeune dedaigneuse accepte, a condition toutefois qu'un
domestique les suivra, pour lui porter des chaussures fraiches, et que
la caleche viendra les reprendre a minuit pour les ramener a leur terre;
ce qui fut execute.
Ils etaient a peu pres aux trois quarts de leur course, et n'avaient
plus que cinq
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