onne le nom de miss
Touche-Tout, titre en parfaite analogie avec l'habitude qu'elle ne
pouvait vaincre et la pretention qu'elle avait de parler souvent
la langue anglaise, bien que jamais elle n'eut pu en saisir la
prononciation.
M. de Montbreuil n'etait pas plus a l'abri que tout autre des
indiscretions de miss Touche-Tout. Tantot elle s'emparait de la
chevelure de son pere, sous pretexte de lui donner une forme plus
analogue a sa figure venerable; tantot elle etalait son jabot, afin de
mieux en prononcer les plis; elle renouait sa cravate, desirant en faire
disparaitre le double noeud gothique, et l'enlacer a l'anglaise; tantot,
enfin, elle substituait a la chaine de sa montre un noeud de ruban
qu'elle renouvelait tous les mois, mais auquel plus d'une fois elle
oublia d'attacher la clef, que son pere cherchait vainement le soir, et
qui se trouvait egaree. Le celebre magistrat supportait avec patience
toutes ces familiarites et les contrarietes qu'elles lui faisaient
eprouver: il attribuait a l'amour filial ce qui chez Melina n'etait
qu'une indomptable manie.
Mais, quelle que fut son indulgence, il ne pouvait douter que sa fille
ne devint chaque jour plus insupportable, dans les differentes reunions
ou il la presentait. Sans cesse il entendait repeter: "Miss Touche-Tout
vient de dechirer le voile d'Angleterre de madame une telle.--Elle
a casse la bonbonniere de celle-ci, laisse tomber la lorgnette de
celui-la.--Miss Touche-Tout vient d'effacer un oeil du portrait en
miniature de mademoiselle une telle, en y portant son doigt rempli de
noir d'ivoire.--Miss Touche-Tout a laisse tomber un cornet d'encre sur
un morceau de musique ecrit de la main de Boieldieu: la jeune Anais, a
qui elle appartenait, en pleure de depit...." Enfin, il n'etait aucun
desappointement, aucun evenement facheux, que ne causat l'habitude
funeste de la jeune de Montbreuil. On redoutait a tel point son arrivee
ou sa presence dans un cercle, que toutes les jeunes demoiselles qui
portaient un chale de prix, un chapeau frais, une echarpe nouvelle,
les quittaient aussitot que miss Touche-Tout paraissait, afin de les
soustraire a ses atteintes malencontreuses. Mais elle s'en vengeait sur
la ceinture de celle-ci, sur les anneaux de celle-la, sur le peigne
a l'espagnole d'une troisieme, sur les bracelets a la grecque d'une
quatrieme; il n'etait, en un mot, aucune personne qui put se soustraire
a l'obsession de Melina.
M. de Montbreuil resolut donc de
|