ska en fit l'experience: elle ne trouva dans Eudoxie qu'un
esprit tranchant et sardonique, elle ne decouvrit en elle que cette
jactance des enrichis, qui ne mesurent le merite des gens qu'a la figure
qu'ils font dans le monde. Ce n'etait pas cette touchante pudeur, ces
epanchements de l'ame la plus delicate et la plus aimante, que rendaient
l'intimite si delicieuse avec la timide et modeste Virginie. La plus
froide indifference ne tarda pas a naitre entre les nouvelles amies;
et la brillant Eudoxie fut abandonnee sans regret, comme on s'y etait
attache sans reflexion.
Cependant on ne voulait pas paraitre isolee dans le monde, surtout aux
yeux de Virginie, qu'on y rencontrait encore: elle aurait pu croire
qu'elle etait la seule avec laquelle l'amitie put avoir des charmes.
Erliska se sentit donc une secrete predilection pour la fille unique du
comte de Saint-Far; il tenait un des premiers rangs dans la noblesse de
la province.
La jeune Palmire avait pres de quinze ans, et tout annoncait en elle une
ame elevee, un esprit orne. Son maintien etait gracieux, imposant; elle
portait la tete haute, et son regard parcourait avec une noble assurance
tout ce qui paraissait etre a son niveau; mais, lorsqu'elle daignait
abaisser ses yeux sur les personnes qu'elle savait ne pas etre titrees,
on remarquait sur ses levres un mouvement dedaigneux, et sur ses traits
une contraction qui indiquait clairement que chez elle le sentiment
dominant etait l'orgueil de la naissance. Comme la famille Kistenn etait
etrangere, Palmire ne crut pas derager en voyant assidument Erliska; et
celle-ci, flattee de cette condescendance, s'imagina qu'elle avait enfin
trouve l'amie que desirait son coeur.
Mais qu'elle eut a souffrir de cette nouvelle liaison! Palmire ne
parlait que de ses ancetres, de l'antiquite de sa race, qui remontait,
selon elle, jusqu'au temps de Charlemagne. Les sciences, les lettres
et les arts n'etaient rien a ses yeux aupres d'un quartier de noblesse
qu'on avait de plus que telle ou telle grande maison; les bienfaiteurs
meme de l'humanite, les laborieux auteurs des plus belles decouvertes
necessaires a la prosperite de l'Etat, n'inspiraient a Palmire aucune
consideration. Erliska, habituee depuis son enfance a respecter les
grands noms, mais en meme temps a honorer le vrai merite et les services
en tout genre rendus a la patrie, ne put se courber longtemps sous
l'excessive fierte de sa troisieme amie; et, s'apercevant qu'elle-m
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