mettre un terme a ce defaut, qui
devenait, en quelque sorte, une calamite publique. Malgre l'importance
de ses fonctions et l'austerite de son caractere, il concut le projet de
faire tourner contre elle-meme l'habitude facheuse de sa fille, et de
la rendre, a son tour, victime de cette ridicule manie qui devait
necessairement la conduire a quelque maladresse.
Il s'etait apercu que Melina, pendant son absence, venait souvent
exercer son inquisition dans son cabinet de travail, et, sous pretexte
d'y mettre elle-meme tout en ordre, portait sa main avide sur les
objets les plus precieux. Il substitua d'abord un melange d'alcali et
d'assa-foetida a l'eau de Portugal que contenait un des flacons de
cristal poses sur sa cheminee, et que Melina ne manquait jamais de
deboucher lorsqu'elle venait souhaiter a son pere le bonjour du matin.
Il esperait que cette premiere epreuve ferait quelque impression sur
sa fille, et l'empecherait de toucher dorenavant a tous les vases
ou cristaux qui se trouveraient sous sa main. En effet, la maniaque
incurable entre dans le cabinet de son pere, l'embrasse avec l'effusion
de la tendresse filiale, touche a tous les bronzes, a tous les marbres
qui couvrent son bureau de travail, prend l'une apres l'autre cinq a six
plumes qu'elle essaye machinalement sur un papier de rebut, et se
tache les doigts d'encre, verse a plusieurs reprises le sable bleu
que renferme la poudriere, et dont elle laisse tomber une partie
dans l'encrier; de la, gagne la cheminee, debouche un premier flacon
contenant de l'eau de Cologne qu'elle respire avec delices; debouche
enfin le second flacon, et, croyant aspirer l'eau du Portugal, elle
eprouve une suffocation subite qui lui souleve le coeur. Cependant elle
garde le silence, et ne se plaint aucunement de ce changement d'odeur,
qu'elle attribue a l'usage qu'avait son pere d'employer des spiritueux
pour se delasser de la tension d'esprit qu'exigeaient ses hautes
fonctions. Celui-ci, de son cote, feignit de ne point s'apercevoir de
la mesaventure de sa fille, et se promit de la mettre a une seconde
epreuve.
Melina montrait pour les araignees la plus grande aversion. Elle
avait la folie de regarder ces animaux, d'un instinct remarquable et
susceptible d'etre apprivoises au degre le plus etonnant, comme des
monstres infectes d'un poison mortel, et dont la piqure etait incurable.
Il ne se passait pas de jour qu'elle ne jetat des cris affreux en voyant
cet ingenieux insecte
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