l'avons deja dit, ces deux hommes, pour combattre les
ennuis de la route, cheminaient cote a cote et causaient toujours
ensemble. D'Artagnan avait peu a peu depouille le maitre, et
Planchet avait quitte tout a fait la peau du laquais. C'etait un
profond matois, qui, depuis sa bourgeoisie improvisee, avait
regrette souvent les franches lippees du grand chemin ainsi que la
conversation et la compagnie brillante des gentilshommes, et qui,
se sentant une certaine valeur personnelle, souffrait de se voir
demonetiser par le contact perpetuel des gens a idees plates.
Il s'eleva donc bientot avec celui qu'il appelait encore son
maitre au rang de confident. D'Artagnan depuis de longues annees
n'avait pas ouvert son coeur. Il arriva que ces deux hommes en se
retrouvant s'agencerent admirablement.
D'ailleurs, Planchet n'etait pas un compagnon d'aventures tout a
fait vulgaire; il etait homme de bon conseil; sans chercher le
danger il ne reculait pas aux coups, comme d'Artagnan avait eu
plusieurs fois occasion de s'en apercevoir; enfin, il avait ete
soldat, et les armes anoblissaient; et puis, plus que tout cela,
si Planchet avait besoin de lui, Planchet ne lui etait pas non
plus inutile. Ce fut donc presque sur le pied de deux bons amis
que d'Artagnan et Planchet arriverent dans le Blaisois.
Chemin faisant, d'Artagnan disait en secouant la tete et en
revenant a cette idee qui l'obsedait sans cesse:
-- Je sais bien que ma demarche pres d'Athos est inutile et
absurde, mais je dois ce procede a mon ancien ami, homme qui avait
l'etoffe en lui du plus noble et du plus genereux de tous les
hommes.
-- Oh! M. Athos etait un fier gentilhomme! dit Planchet.
-- N'est-ce pas? reprit d'Artagnan.
-- Semant l'argent comme le ciel fait de la grele, continua
Planchet, mettant l'epee a la main avec un air royal. Vous
souvient-il, monsieur, du duel avec les Anglais dans l'enclos des
Carmes? Ah! que M. Athos etait beau et magnifique ce jour-la,
lorsqu'il dit a son adversaire: "Vous avez exige que je vous dise
mon nom, monsieur; tant pis pour vous, car je vais etre force de
vous tuer!" J'etais pres de lui et je l'ai entendu. Ce sont mot a
mot ses propres paroles. Et ce coup d'oeil, monsieur, lorsqu'il
toucha son adversaire comme il avait dit, et que son adversaire
tomba, sans seulement dire ouf. Ah! monsieur, je le repete,
c'etait un fier gentilhomme.
-- Oui, dit d'Artagnan, tout cela est vrai comme l'Evangile, mais
il aura perdu to
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