.
M. de Beaufort alors acheta a l'un de ses gardiens un chien nomme
Pistache; rien ne s'opposant a ce que les prisonniers eussent un
chien, M. de Chavigny autorisa que le quadrupede changeat de
maitre. M. de Beaufort restait quelquefois des heures entieres
enferme avec son chien. On se doutait bien que pendant ces heures
le prisonnier s'occupait de l'education de Pistache, mais on
ignorait dans quelle voie il la dirigeait. Un jour, Pistache se
trouvant suffisamment dresse, M. de Beaufort invita M. de Chavigny
et les officiers de Vincennes a une grande representation qu'il
donna dans sa chambre. Les invites arriverent; la chambre etait
eclairee d'autant de bougies qu'avait pu s'en procurer
M. de Beaufort. Les exercices commencerent.
Le prisonnier, avec un morceau de platre detache de la muraille,
avait trace au milieu de la chambre une longue ligne blanche
representant une corde. Pistache, au premier ordre de son maitre,
se placa sur cette ligne, se dressa sur ses pattes de derriere et,
tenant une baguette a battre les habits entre ses pattes de
devant, il commenca a suivre la ligne avec toutes les contorsions
que fait un danseur de corde; puis, apres avoir parcouru deux ou
trois fois en avant et en arriere la longueur de la ligne, il
rendit la baguette a M. de Beaufort, et recommenca les memes
evolutions sans balancier.
L'intelligent animal fut crible d'applaudissements.
Le spectacle etait divise en trois parties; la premiere achevee,
on passa a la seconde.
Il s'agissait d'abord de dire l'heure qu'il etait.
M. de Chavigny montra sa montre a Pistache. Il etait six heures et
demie.
Pistache leva et baissa la patte six fois, et, a la septieme,
resta la patte en l'air. Il etait impossible d'etre plus clair, un
cadran solaire n'aurait pas mieux repondu: comme chacun sait, le
cadran solaire a le desavantage de ne dire l'heure que tant que le
soleil luit.
Ensuite, il s'agissait de reconnaitre devant toute la societe quel
etait le meilleur geolier de toutes les prisons de France.
Le chien fit trois fois le tour du cercle et alla se coucher de la
facon la plus respectueuse du monde aux pieds de M. de Chavigny.
M. de Chavigny fit semblant de trouver la plaisanterie charmante
et rit du bout des dents. Quand il eut fini de rire il se mordit
les levres et commenca de froncer le sourcil.
Enfin M. de Beaufort posa a Pistache cette question si difficile a
resoudre, a savoir: Quel etait le plus grand voleur du
|