au nageur, eloignez-vous, s'il
vous plait. Votre repentir est de trop fraiche date pour que nous
y ayons une bien grande confiance; faites attention que le bateau
dans lequel vous avez voulu nous griller fume encore a quelques
pieds sous l'eau, et que la situation dans laquelle vous etes est
un lit de roses en comparaison de celle ou vous vouliez nous
mettre et ou vous avez mis M. Groslow et ses compagnons.
-- Messieurs, reprit Mordaunt avec un accent plus desespere, je
vous jure que mon repentir est veritable. Messieurs, je suis si
jeune, j'ai vingt-trois ans a peine! messieurs, j'ai ete entraine
par un ressentiment bien naturel, j'ai voulu venger ma mere, et
vous eussiez tous fait ce que j'ai fait.
-- Peuh! fit d'Artagnan, voyant qu'Athos s'attendrissait de plus
en plus; c'est selon.
Mordaunt n'avait plus que trois ou quatre brassees a faire pour
atteindre la barque, car l'approche de la mort semblait lui donner
une vigueur surnaturelle.
-- Helas! reprit-il, je vais donc mourir! vous allez donc tuer le
fils comme vous avez tue la mere! Et cependant je n'etais pas
coupable; selon toutes les lois divines et humaines, un fils doit
venger sa mere. D'ailleurs, ajouta-t-il en joignant les mains, si
c'est un crime, puisque je m'en repens, puisque j'en demande
pardon, je dois etre pardonne.
Alors, comme si les forces lui manquaient, il sembla ne plus
pouvoir se soutenir sur l'eau, et une vague passa sur sa tete, qui
eteignit sa voix.
-- Oh! cela me dechire! dit Athos.
Mordaunt reparut.
-- Et moi, repondit d'Artagnan, je dis qu'il faut en finir;
monsieur l'assassin de votre oncle, monsieur le bourreau du roi
Charles, monsieur l'incendiaire, je vous engage a vous laisser
couler a fond; ou, si vous approchez encore de la barque d'une
seule brasse, je vous casse la tete avec mon aviron.
Mordaunt, comme au desespoir, fit une brassee. D'Artagnan prit sa
rame a deux mains, Athos se leva.
-- D'Artagnan! d'Artagnan! s'ecria-t-il; d'Artagnan! mon fils, je
vous en supplie. Le malheureux va mourir, et c'est affreux de
laisser mourir un homme sans lui tendre la main, quand on n'a qu'a
lui tendre la main pour le sauver. Oh! mon coeur me defend une
pareille action; je ne puis y resister, il faut qu'il vive!
-- Mordieu! repliqua d'Artagnan, pourquoi ne vous livrez-vous pas
tout de suite pieds et poings lies a ce miserable? Ce sera plus
tot fait. Ah! comte de La Fere, vous voulez perir par lui; eh
bien! moi, votre
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