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le-mele avec les fugitifs dans les
retranchements. Athos et Aramis chargeaient en tete, Aramis l'epee
et le pistolet a la main, Athos l'epee au fourreau, le pistolet
aux fontes. Athos etait calme et froid comme dans une parade,
seulement son beau et noble regard s'attristait en voyant
s'entr'egorger tant d'hommes que sacrifiaient d'un cote
l'entetement royal, et de l'autre cote la rancune des princes.
Aramis, au contraire, tuait et s'enivrait peu a peu, selon son
habitude. Ses yeux vifs devenaient ardents; sa bouche, si finement
decoupee, souriait d'un sourire lugubre; ses narines ouvertes
aspiraient l'odeur du sang; chacun de ses coups d'epee frappait
juste, et le pommeau de son pistolet achevait, assommait le blesse
qui essayait de se relever.
Du cote oppose, et dans les rangs de l'armee royale, deux
cavaliers, l'un couvert d'une cuirasse doree, l'autre d'un simple
buffle duquel sortaient les manches d'un justaucorps de velours
bleu, chargeaient au premier rang. Le cavalier a la cuirasse doree
vint heurter Aramis et lui porta un coup d'epee qu'Aramis para
avec son habilete ordinaire.
-- Ah! c'est vous, monsieur de Chatillon! s'ecria le chevalier;
soyez le bienvenu, je vous attendais!
-- J'espere ne vous avoir pas trop fait attendre, monsieur, dit le
duc; en tout cas, me voici.
-- Monsieur de Chatillon, dit Aramis en tirant de ses fontes un
second pistolet qu'il avait reserve pour cette occasion, je crois
que si votre pistolet est decharge vous etes un homme mort.
-- Dieu merci, dit Chatillon, il ne l'est pas!
Et le duc, levant son pistolet sur Aramis, l'ajusta et fit feu.
Mais Aramis courba la tete au moment ou il vit le duc appuyer le
doigt sur la gachette, et la balle passa, sans l'atteindre, au-
dessus de lui.
-- Oh! vous m'avez manque, dit Aramis. Mais moi, j'en jure Dieu,
je ne vous manquerai pas.
-- Si je vous en laisse le temps! s'ecria M. de Chatillon en
piquant son cheval et en bondissant sur lui l'epee haute.
Aramis l'attendit avec ce sourire terrible qui lui etait propre en
pareille occasion; et Athos, qui voyait M. de Chatillon s'avancer
sur Aramis avec la rapidite de l'eclair, ouvrait la bouche pour
crier: "Tirez! mais tirez donc!" quand le coup partit.
M. de Chatillon ouvrit les bras et se renversa sur la croupe de
son cheval.
La balle lui etait entree dans la poitrine par l'echancrure de la
cuirasse.
-- Je suis mort! murmura le duc.
Et il glissa de son cheval a terre.
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