l'arrestation du
Mazarin ne serait pas plutot un mal qu'un bien, un embarras qu'un
triomphe?
-- Dites, Athos, que vous desapprouvez ma proposition.
-- Non pas, je crois au contraire qu'elle est de bonne guerre;
cependant...
-- Cependant, quoi?
-- Je crois que vous n'auriez pas du faire jurer a ces messieurs
de ne rien dire au Mazarin; car en leur faisant jurer cela, vous
avez presque pris l'engagement de ne rien faire.
-- Je n'ai pris aucun engagement, je vous jure; je me regarde
comme parfaitement libre. Allons, allons, Athos! allons!
-- Ou?
-- Chez M. de Beaufort ou chez M. de Bouillon; nous leur dirons ce
qu'il en est.
-- Oui, mais a une condition: c'est que nous commencerons par le
coadjuteur. C'est un pretre; il est savant sur les cas de
conscience, et nous lui conterons le notre.
-- Ah! fit Aramis, il va tout gater, tout s'approprier; finissons
par lui au lieu de commencer.
Athos sourit. On voyait qu'il avait au fond du coeur une pensee
qu'il ne disait pas.
-- Eh bien! soit, dit-il; par lequel commencons-nous?
-- Par M. de Bouillon, si vous voulez bien; c'est celui qui se
presente le premier sur notre chemin.
-- Maintenant vous me permettrez une chose, n'est-ce pas?
-- Laquelle?
-- C'est que je passe a l'hotel du _Grand-Roi-Charlemagne_ pour
embrasser Raoul.
-- Comment donc! j'y vais avec vous, nous l'embrasserons ensemble.
Tous deux avaient repris le bateau qui les avait amenes et
s'etaient fait conduire aux Halles. Ils y trouverent Grimaud et
Blaisois, qui leur tenaient leurs chevaux, et tous quatre
s'acheminerent vers la rue Guenegaud.
Mais Raoul n'etait point a l'hotel du _Grand-Roi;_ il avait recu
dans la journee un message de M. le Prince et etait parti avec
Olivain aussitot apres l'avoir recu.
LXXXII. Les trois lieutenants du generalissime
Selon qu'il avait ete convenu et dans l'ordre arrete entre eux,
Athos et Aramis, en sortant de l'auberge du _Grand-Roi-
Charlemagne, _s'acheminerent vers l'hotel de M. le duc de
Bouillon.
La nuit etait noire, et, quoique s'avancant vers les heures
silencieuses et solitaires, elle continuait de retentir de ces
mille bruits qui reveillent en sursaut une ville assiegee. A
chaque pas on rencontrait des barricades, a chaque detour des rues
des chaines tendues, a chaque carrefour des bivouacs; les
patrouilles se croisaient, echangeant les mots d'ordre; les
messagers expedies par les differents chefs sillonnaient les
places
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