plus dangereux, et il n'etait pas rare que la batellerie y eprouvat de
graves dommages. Maintenant, le danger a notablement diminue. On a fait
sauter a la mine les plus genantes des roches qui s'echelonnaient
d'une rive a l'autre. Les rapides ont perdu de leur fureur, les remous
n'attirent plus les bateaux dans leurs tourbillons avec la meme
violence, et les catastrophes sont devenues moins frequentes. Beaucoup
de precautions, cependant, sont encore a prendre, autant pour les grands
chalands que pour les petites embarcations.
Tout cela n'etait pas pour embarrasser Ilia Brusch. Il suivait les
passes, evitait les bancs de sable, dominait les remous et les rapides,
avec une etonnante habilete. Cette habilete, Karl Dragoch l'admirait,
mais il ne laissait pas aussi d'etre surpris qu'un simple pecheur eut
une science si parfaite du Danube et de ses traitresses surprises.
Si Ilia Brusch etonnait Karl Dragoch, la reciproque n'etait pas moins
vraie. Le pecheur admirait, sans y rien comprendre, l'etendue des
relations de son passager. Si infime que fut le lieu choisi pour la
halte du soir, il etait rare que M. Jaeger n'y trouvat pas quelqu'un de
connaissance. A peine la barge etait-elle amarree, il sautait a terre et
presque aussitot il etait aborde par une ou deux personnes. Jamais, du
reste, il ne s'oubliait en de longues conversations. Apres un echange
de quelques mots, les interlocuteurs se separaient, et M. Jaeger
reintegrait la barge, tandis que les etrangers s'eloignaient. A la fin
Ilia Brusch n'y put tenir.
"Vous ayez donc des amis un peu partout, monsieur Jaeger? demanda-t-il
un jour.
--En effet, monsieur Brusch, repondit Karl Dragoch. Cela tient a ce que
j'ai souvent parcouru ces contrees.
--En touriste, monsieur Jaeger?
--Non, monsieur Brusch, pas en touriste. Je voyageais a cette epoque
pour une maison de commerce de Budapest, et, dans ce metier-la, non
seulement on voit du pays, mais on se cree de nombreuses relations, vous
le savez."
Tels furent les seuls incidents--si l'on peut appeler cela des
incidents--qui marquerent le voyage du 18 au 24 aout. Ce jour-la, apres
une nuit passee le long de la rive, loin de tout village, en dessous de
la petite ville de Tulln, Ilia Brusch se remit en route avant l'aube,
ainsi qu'il en avait coutume. Cette journee ne devait pas etre pareille
aux precedentes. Le soir meme, en effet, on serait a Vienne, et, pour la
premiere fois, depuis huit jours, Ilia Brusch allait
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