, ne manifesta par aucun
signe le desappointement que tant de precipitation devait lui faire
eprouver.
Les preoccupations de Karl Dragoch detournaient, d'ailleurs, l'attention
de M. Jaeger. Le petit dommage que le second risquait de subir n'avait
qu'une importance bien mince en regard des soucis du premier.
Dans cette matinee du 26 aout, Karl Dragoch venait, en effet, de faire
une remarque du caractere le plus insolite, qui, s'ajoutant a celles des
jours precedents, achevait de le troubler profondement. C'est vers dix
heures du matin que la chose etait arrivee. A ce moment, Dragoch, plonge
dans ses pensees, regardait machinalement Ilia Brusch godiller, debout
a l'arriere de la barge, avec un entetement de boeuf au labour. A cause
d'une sinuosite du chenal qui l'obligeait a se diriger, pour quelques
instants, vers le Nord-Ouest, le pecheur avait alors le soleil en plein
derriere lui. Il etait tete nue, car, ruisselant litteralement de sueur,
il avait rejete a ses pieds la casquette de loutre dont il se couvrait
d'ordinaire, et la lumiere eclairait vivement par transparence son
abondante et noire chevelure.
Tout a coup, Karl Dragoch fut frappe par une particularite des plus
singulieres. Si Ilia Brusch etait brun, et cela n'etait pas contestable,
il ne l'etait du moins que partiellement. Noirs a leur extremite,
ses cheveux, a leur base, s'accusaient, sur une longueur de quelques
millimetres, du plus indeniable blond.
Phenomene naturel que cette diversite de teintes? Peut-etre. Mais, plus
vraisemblablement, simple resultat d'une vulgaire teinture dont on
aurait neglige de renouveler l'application.
Quand bien meme un doute aurait pu, d'ailleurs, subsister a ce sujet
dans l'esprit de Karl Dragoch, celui-ci n'eut pas tarde a etre
exactement renseigne, puisque, des le lendemain matin, les cheveux
d'Ilia Brusch avaient perdu leur double coloration. Le pecheur,
evidemment, s'etait apercu de sa negligence et y avait remedie pendant
la nuit.
Ces yeux que leur proprietaire dissimulait avec tant de soin derriere
d'impenetrables verres, ce mensonge certain au moment de l'escale a
Vienne, cette hate incomprehensible si peu compatible avec le but avoue
du voyage, ces cheveux blonds transformes en cheveux noirs, tout cela
formait un faisceau de presomptions dont on devait necessairement
conclure... Au fait, que devait-on en conclure? Karl Dragoch, apres
tout, n'en savait rien. Que la conduite d'Ilia Brusch fut louche, ce
n'
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