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un geste d'etonnement et, comme desireux de n'etre pas reconnu, rentra
rapidement dans l'interieur du restaurant, d'ou, a travers les rideaux
du vitrage, il surveilla un homme qui traversait la place en ce moment.
"C'est lui, Dieu me pardonne!" murmura Dragoch, en suivant des yeux Ilia
Brusch.
C'etait Ilia Brusch, en effet, bien reconnaissable a sa figure rasee, a
ses lunettes et a ses cheveux noirs comme ceux d'un Italien du Sud.
Quand celui-ci se fut engage dans la Kaiser-Josephstrasse, Dragoch
vint rejoindre Ulhmann demeure sur la terrasse, lui intima l'ordre de
l'attendre autant qu'il serait necessaire, et s'elanca sur les traces du
pecheur.
Ilia Brusch marchait, sans songer a se retourner, avec le calme d'une
conscience paisible. D'un pas tranquille, il marcha jusqu'au bout de
la Kaiser-Josephstrasse, puis, en droite ligne, a travers le parc de
l'Augarten, il arriva a la Brigittenau. Quelques instants, il parut
alors hesiter, et penetra finalement dans une echoppe de sordide
apparence ouvrant sa pauvre devanture dans l'une des plus miserables
rues de ce quartier ouvrier.
Une demi-heure plus tard il ressortait. Toujours file, sans le savoir,
par Karl Dragoch, qui ne manqua pas en passant de lire l'enseigne de
la boutique ou son compagnon de voyage venait de s'arreter, il prit la
Rembrandtgasse, puis, remontant la rive gauche du canal, atteignit
la Praterstrasse, qu'il suivit jusqu'au rond-point. La, il tourna
deliberement a droite et s'eloigna par la Haupt-Allee, sous les arbres
du Prater. Il rentrait evidemment a bord de la barge, et Karl Dragoch
jugea inutile de continuer plus longtemps sa filature.
Celui-ci revint donc au petit cafe, devant lequel Friedrich Ulhmann
l'avait fidelement attendu.
"Connais-tu un juif du nom de Simon Klein? demanda-t-il en l'abordant.
--Certainement, repondit Ulhmann.
--Qu'est-ce que c'est que ce juif?
--Pas grand'chose de bon. Brocanteur, usurier, au besoin receleur, je
crois que ces trois mots le peignent du haut en bas.
--C'est bien ce que je pensais, murmura Dragoch, qui paraissait plonge
en de profondes reflexions.
Apres un instant, il reprit:
--Combien d'hommes avons-nous ici?
--Une quarantaine, repondit Ulhmann.
--C'est suffisant. Ecoute-moi bien. Il faut faire table rase de ce que
nous avons dit ce matin. Je change mon plan, car, plus je vais, plus
j'ai le pressentiment que l'affaire arrivera pres de l'endroit, quel
qu'il soit, ou je
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