ui-meme, ce
n'est pas tant l'ensemble des idees qui en dessinent le contour, que la
passion pure, la loyaute, le desinteressement dont nous enveloppons ces
idees. La maniere dont nous aimons ce que nous croyons etre une verite a
plus d'importance que la verite meme. Ne devient-on pas meilleur par
l'amour que par la pensee? Aimer loyalement une grande erreur vaut souvent
mieux que de servir petitement une grande verite.
Cette passion, cet amour peut d'ailleurs se trouver dans le doute comme
dans la foi. Il y a des doutes aussi passionnes, aussi genereux que les
plus belles convictions. Ce qu'a de meilleur une pensee qui nous parait
tres haute, tres pure ou profondement incertaine, c'est qu'elle nous offre
l'occasion d'aimer quelque chose sans reserve. Que je me donne a un homme,
a un Dieu, a une patrie, a un univers, a une erreur, le metal precieux
qu'on trouvera un jour au fond des cendres de l'amour ne proviendra pas de
l'objet de cet amour, mais de l'amour lui-meme. Ce qui laisse une trace qui
ne s'efface pas, c'est la simplicite, l'ardeur, la fermete d'un attachement
sincere. Tout passe, se transforme, se perd peut-etre, hormis le
rayonnement de cette profondeur, de cette fermete, de cette fecondite de
notre coeur.
"Jamais homme ne posseda son ame en paix comme celui-la" dit Saint-Simon,
parlant de l'un d'eux environne d'intrigues, de coleres et de pieges. Et
plus loin, c'est la "sage tranquillite" d'un autre, et cette "sage
tranquillite" penetre ce qu'il appelle "tout le petit troupeau". C'est,
en effet, le petit troupeau de la fidelite aux meilleures pensees, le petit
troupeau de l'amitie, de la loyaute, du respect de soi-meme et de la
satisfaction interieure, qui passe dans une lumiere simple et paisible au
milieu des vanites, des ambitions, des mensonges, et des trahisons de
Versailles.
Ce ne sont pas des saints au sens trop ordinaire de ce mot. Ils ne se sont
pas retires au fond des deserts ou des forets, ils n'ont pas cherche un
egoiste abri en d'etroites cellules. Ce sont des sages; ils ne sortent pas
de la vie; ils demeurent dans la realite. Ne croyons pas que leur piete les
sauve, et que le refuge de leur ame ne se trouve qu'en Dieu. Il ne suffit
pas d'aimer Dieu et de le servir du mieux que l'on peut, pour que l'ame
humaine s'affermisse et se tranquillise. On ne parvient a aimer Dieu
qu'avec l'intelligence et les sentiments qu'on a acquis et developpes au
contact des hommes. L'ame humaine reste profond
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