de
transformer l'instinct d'une ame, il n'est pas inutile que celles qui ne
batissent pas sachent la joie que les autres eprouvent a remettre sans
cesse les pierres sur les pierres. Pensees, attachements, amours,
convictions, deceptions, doutes meme, tout leur sert, et ce que la tempete
brise en l'arrachant devient plus commode a manier pour reconstruire un peu
plus loin un edifice moins orgueilleux, mais mieux approprie aux exigences
de la vie.
Quelles tristesses, quels regrets, ou quelles desillusions peuvent encore
ebranler la maison de celui qui n'a pas rejete ce qu'il y a de sage et de
solide dans les tristesses, les regrets, et les desillusions, tandis qu'il
choisissait les pierres de sa demeure? Et puis, pour nous servir d'une
autre image, n'est-il pas vrai de dire qu'il en est des racines du bonheur
interieur comme de celles des grands arbres? Ce sont les chenes que la
tempete tourmente le plus souvent qui finissent par avoir les plus
puissantes et les plus nourricieres attaches dans le sol eternel; et le
destin qui nous secoue injustement ne sait pas plus ce qui a lieu dans
l'ame, que le vent ne se doute de ce qui passe sous terre.
C
Il est interessant de surprendre ici la puissance et l'attrait mysterieux
du bonheur veritable. Quand l'un de ceux qui font partie du "petit
troupeau" passe a travers la foule heureuse et triomphante qui encombre
d'intrigues, de salutations, de petites amours, de petites victoires, les
escaliers de marbre et les appartements magnifiques de Versailles, il se
fait parfois une sorte de silence dans le tumultueux recit de Saint-Simon.
Sans qu'il ait besoin de le faire remarquer, il semble qu'on mesure un
moment ces maigres vanites, ces satisfactions eclatantes mais provisoires,
ces mensonges qui parlent haut mais qui tremblent dans l'ombre, a la
hauteur normale d'une ame tranquille et porte. Il arrive a peu pres ce qui
a lieu quand au milieu d'enfants qui jouent a des jeux defendus, arrachent
ou ecrasent des fleurs, se prennent a voler des fruits, torturent
sournoisement un animal inoffensif, un pretre ou un vieillard s'avance qui
ne songe cependant pas a les gronder. Les jeux sont brusquement
interrompus; il y a un reveil de conscience effare; et les regards genes
s'arretent malgre eux sur le devoir, sur la realite et sur la verite.
Mais les hommes, d'habitude, ne s'attardent pas plus longtemps que les
enfants a suivre des yeux le vieillard, le pretre ou la reflexion qu
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