nce d'un bonheur qui ne nait pas de la
bienveillance ou de l'eclat d'une heure, mais de l'acceptation agrandie de
la vie. Ici, comme en bien des choses, c'est le desir et la necessite qui
aiguisent nos sens. L'abeille qui a faim trouve le miel cache aux plus
profondes cavernes; et l'ame qui pleure definitivement apercoit la joie
qui se dissimule dans la retraite ou le silence le plus impenetrable.
CI
Sitot que la conscience s'eveille et se met a vivre dans un etre, c'est
une destinee qui commence. Il ne s'agit pas ici de la conscience appauvrie
et passive de la plupart des ames, mais de la conscience active qui accepte
l'evenement, quel qu'il soit, comme une reine, alors meme qu'on l'a jetee
dans une prison, sait accepter un don. S'il ne vous arrive rien, votre
conscience peut deja creer un tres grand evenement en constatant, d'une
certaine facon, l'absence de tout evenement. Mais peut-etre n'y a-t-il pas
un homme a qui n'arrivent plus de choses qu'il n'en faut pour alimenter la
conscience la plus avide, la plus infatigable.
J'ai en ce moment sous les yeux la biographie d'une de ces ames puissantes
et passionnees, a cote de laquelle toutes les aventures qui font le bonheur
ou le malheur des hommes semblent avoir passe sans detourner la tete. Il
s'agit de la femme de genie la plus etrange, la plus incontestable, de la
premiere moitie de ce siecle, Emily Bronte. Elle ne nous a laisse qu'un
livre, un roman, intitule: _Wuthering Heights_, titre bizarre que l'on
pourrait traduire ainsi: _Les sommets orageux._
Emily etait la fille d'un clergyman anglais, le reverend Patrick Bronte,
l'etre le plus nul, le plus immobile, le plus pretentieux, le plus egoiste
qu'on puisse imaginer. Deux choses lui semblaient importantes dans la vie:
la purete de son profil grec et la securite de ses digestions. Quant a la
pauvre mere d'Emily, elle parut vivre tout entiere dans l'admiration de ce
profil et dans le respect de ces digestions conjugales. Au reste, a quoi
bon rappeler ici son existence, puisqu'elle mourut deux ans apres la
naissance d'Emily? Ajoutons, neanmoins, ne fut-ce que pour prouver une fois
de plus que dans la vie mediocre, la femme est presque toujours superieure
a l'homme qu'elle a du accepter, ajoutons que longtemps apres la mort de
l'epouse si soumise du vaniteux et vegetatif clergyman, on trouva une
liasse de lettres ou celle qui s'etait toujours tue, jugeait tres nettement
l'indifference, la fatuite et l'ego
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