voir dans la vie. La flamme qui l'animait au
fond de ses tenebres est la flamme meme qui anime le sage au fond des
heures uniformes. L'amour est le soleil inconscient de notre ame, mais les
rayons les plus purs, les plus chauds, les plus stables de ce soleil,
ressemblent etonnamment a ceux qu'une ame passionnee de justice, de
grandeur, de beaute et de verite s'efforce de multiplier en elle. Le
bonheur qui se trouvait la, par hasard, dans le coeur d'Eponine, ne peut-on
l'introduire dans tout coeur de bonne volonte? Tout ce qu'il y avait de
plus consolant dans son amour, l'oubli de soi, la transfiguration des
regrets en sourires, des plaisirs auxquels on renonce en bonheurs que le
coeur eternise, l'interet que l'on prend aux plus pales lueurs de chaque
jour lorsqu'elles eclairent une chose qu'on admire, l'immersion dans une
lumiere et dans une allegresse que nous pouvons etendre a volonte,
puisqu'il nous suffit d'adorer davantage; tout cela et mille forces aussi
douces, aussi secourables, ne peut-il se trouver dans la vie plus ardente
de notre coeur, de notre ame et de notre pensee? L'amour d'Eponine etait-il
autre chose qu'une sorte d'eclair involontaire, inattendu, immerite de
cette vie? L'amour ne pense pas toujours; bien souvent il n'a besoin
d'aucune reflexion, d'aucun retour sur lui-meme, pour jouir de tout ce
qu'il y a de meilleur dans la pensee, mais ce qu'il y a de meilleur dans
l'amour n'en est pas moins semblable a ce qu'il y a de meilleur dans la
pensee. Eponine, parce qu'elle aimait, ne voyait que le visage lumineux de
ses souffrances; mais reflechir, mediter, regarder plus loin que sa peine,
et agir plus joyeusement qu'il ne faudrait selon l'ordre apparent du
destin, n'est-ce pas faire volontairement et surement ce que l'amour ne
fait qu'a son insu par un hasard heureux? Chacune des souffrances d'Eponine
allumait une torche aux creux du souterrain, et de meme pour l'ame
accoutumee a la retraite, toute douleur qui la fait rentrer en elle-meme
n'allume-t-elle pas de grandes consolations? Et puisque, avec notre noble
Eponine, nous sommes au temps des persecutions, ne pourrait-on pas dire
qu'une telle douleur est pareille au bourreau paien, qui, touche par
l'admiration ou la grace, au milieu des tortures qu'il inflige,
s'agenouille soudain aux pieds de sa victime, l'encourage tendrement, veut
souffrir avec elle, et lui demande enfin, dans un baiser, le chemin de son
ciel?
CIX
En quelque lieu que nous
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