se lever enfin, a descendre les marches
inactives, a sortir dans la vie. Tout est bien, pourvu qu'elle ne s'attarde
point jusqu'au jour ou ses membres refusent de la porter.
Qui nous dira s'il n'est pas preferable d'agir parfois contre sa pensee que
de n'oser jamais agir selon ses pensees? L'erreur active est rarement
irremediable; les choses et les hommes se chargent de la redresser tot,
mais que peuvent-ils contre l'erreur passive qui evite tout contact avec la
realite? Au demeurant, tout ceci ne veut pas dire qu'il faille moderer
notre conscience intellectuelle et craindre de la trop nourrir en attendant
notre conscience morale. N'ayons pas peur d'avoir un ideal trop admirable
pour qu'il puisse s'adapter a la vie. Il faut un fleuve de bonne volonte
pour mettre en mouvement le moindre acte de justice ou d'amour. Il faut que
nos idees soient dix fois superieures a notre conduite pour que notre
conduite soit simplement honnete. Il faut vouloir enormement le bien pour
eviter un peu le mal. Aucune force en ce monde n'est sujette a dechet plus
enorme que l'idee qui doit descendre dans l'existence quotidienne; c'est
pourquoi il est necessaire d'etre heroique dans ses pensees pour etre tout
au plus acceptable ou inoffensif dans ses actions.
CVII
Approchons-nous une derniere fois des destinees obscures. Elles nous
apprennent que, meme au sein de grands malheurs physiques, il n'y a rien
d'irreparable, et que se plaindre du destin c'est presque toujours se
plaindre de l'indigence de son ame.
On raconte, dans l'histoire romaine, qu'un senateur gaulois, Julius
Sabinus, s'etant revolte contre l'empereur Vespasien, fut vaincu. Il lui
eut ete facile de fuir chez les Germains, mais ne pouvant emmener sa jeune
femme, appelee Eponine, il n'eut pas le coeur de l'abandonner. Il semble
qu'aux jours d'angoisse et de malheur on reconnaisse enfin la valeur unique
et veritable de la vie; il ne renonca donc pas a la vie. Il possedait une
villa sous laquelle s'etendaient de vastes souterrains connus de lui seul
et de deux affranchis. Il fit incendier cette villa et le bruit se repandit
qu'il s'etait empoisonne et que son corps avait ete devore par les flammes.
Eponine elle-meme y fut trompee, dit Plutarque, dont je reprends ici le
recit tel qu'il est complete par l'historien des Antonins, le comte de
Champagny; et quand Martialis l'affranchi lui annonca le suicide de son
mari, elle demeura trois jours et trois nuits prosternee con
|