mais il n'est
pas un evenement auquel elle avait droit qui n'ait eu lieu dans son coeur
avec une force, une beaute, une precision et une ampleur incomparables. Il
ne lui arrive rien, semble-t-il, mais tout ne lui arrive-t-il pas plus
personnellement et plus reellement qu'a la plupart des etres, puisque tout
ce qui se produit autour d'elle, tout ce qu'elle apercoit et tout ce
qu'elle entend, se transforme chez elle en pensees, en sentiments, en amour
indulgent, en admiration, en adoration pour la vie?
Qu'importe qu'un evenement tombe sur notre toit ou sur le toit voisin?
L'eau que verse un nuage est a qui la recueille, et le bonheur, la beaute,
l'inquietude salutaire ou la paix qui se trouvent dans un geste du hasard
n'appartiennent qu'a celui qui a appris a reflechir. Elle n'eut jamais
d'amour, elle n'entendit pas une seule fois retentir sur la route les pas
merveilleux de l'amant, et cependant elle, qui mourut vierge a vingt-neuf
ans, a connu l'amour, a parle de l'amour, en a penetre les plus incroyables
secrets, au point que ceux qui ont le plus aime se demandent parfois quel
nom donner encore a leur passion quand ils apprennent d'elle les paroles,
les elans, les mysteres d'un amour a cote duquel tout semble accidentel et
pale.
Ou a-t-elle entendu, si ce n'est dans son coeur, ces paroles inegalables de
l'amante qui parle a sa nourrice de celui que tous autour d'elle
persecutent et detestent et qu'elle seule adore. "Mes grandes miseres en
ce monde ont ete ses miseres. Toutes je les ai observees et les ai
ressenties depuis le commencement. Ma pensee, quand je vis, c'est lui-meme.
Si tout le reste perissait et que lui seul demeurat, je continuerais
d'exister, et si tout le reste demeurait et qu'il fut aneanti, l'univers ne
serait plus pour moi qu'un immense etranger, et je n'en ferais plus partie.
Mon amour pour l'autre dont tu parles, est comme le feuillage des forets;
le temps le changera comme l'hiver change les arbres, mais mon amour pour
lui ressemble aux rocs eternels et souterrains. Ils sont la source de peu
de satisfactions visibles, mais ils sont necessaires.--Je suis lui-meme. Il
est toujours, toujours, dans ma pensee, non pas comme un plaisir, pas plus
que je ne suis toujours un plaisir pour moi-meme. Je ne l'aime pas parce
qu'il me semble beau, mais parce qu'il est _plus moi que tout moi-meme_, et
de quelque matiere que soient faites nos ames, la sienne et la mienne ne
sont que la meme ame...."
Elle tou
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