tre livre de philosophie, c'est comme les principes
rationnels, ou les lois scientifiques, la realite se conforme a cela, a
peu pres, mais rappelle-toi le grand mathematicien Poincare, il n'est
pas sur que les mathematiques soient rigoureusement exactes. Quant aux
reglements eux-memes, dont je t'ai parle, ils sont en somme d'une
importance secondaire, et d'ailleurs on les change de temps en temps.
Ainsi pour nous autres cavaliers, nous vivons sur le _Service en
Campagne_ de 1895 dont on peut dire qu'il est perime, puisqu'il repose
sur la vieille et desuete doctrine qui considere que le combat de
cavalerie n'a guere qu'un effet moral par l'effroi que la charge produit
sur l'adversaire. Or, les plus intelligents de nos maitres, tout ce
qu'il y a de meilleur dans la cavalerie, et notamment le commandant dont
je te parlais, envisagent au contraire que la decision sera obtenue par
une veritable melee ou on s'escrimera du sabre et de la lance et ou le
plus tenace sera vainqueur non pas simplement moralement et par
impression de terreur, mais materiellement.
--Saint-Loup a raison et il est probable que le prochain _Service en
Campagne_ portera la trace de cette evolution, dit mon voisin.
--Je ne suis pas fache de ton approbation, car tes avis semblent faire
plus impression que les miens sur mon ami, dit en riant Saint-Loup, soit
que cette sympathie naissante entre son camarade et moi l'agacat un peu,
soit qu'il trouvat gentil de la consacrer en la constatant aussi
officiellement. Et puis j'ai peut-etre diminue l'importance des
reglements. On les change, c'est certain. Mais en attendant ils
commandent la situation militaire, les plans de campagne et de
concentration. S'ils refletent une fausse conception strategique, ils
peuvent etre le principe initial de la defaite. Tout cela, c'est un peu
technique pour toi, me dit-il. Au fond, dis-toi bien que ce qui
precipite le plus l'evolution de l'art de la guerre, ce sont les
guerres elles-memes. Au cours d'une campagne, si elle est un peu longue,
on voit l'un des belligerants profiter des lecons que lui donnent les
succes et les fautes de l'adversaire, perfectionner les methodes de
celui-ci qui, a son tour, encherit. Mais cela c'est du passe. Avec les
terribles progres de l'artillerie, les guerres futures, s'il y a encore
des guerres, seront si courtes qu'avant qu'on ait pu songer a tirer
parti de l'enseignement, la paix sera faite.
--Ne sois pas si susceptible, dis-je a Saint-Lo
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