durer de ce qu'on
aime! Robert se disait: "Que fait-elle donc pour qu'elle se taise ainsi?
Sans doute, elle me trompe avec d'autres?" Il disait encore: "Qu'ai-je
donc fait pour qu'elle se taise ainsi? Elle me hait peut-etre, et pour
toujours." Et il s'accusait. Ainsi le silence le rendait fou en effet,
par la jalousie et par le remords. D'ailleurs, plus cruel que celui des
prisons, ce silence-la est prison lui-meme. Une cloture immaterielle,
sans doute, mais impenetrable, cette tranche interposee d'atmosphere
vide, mais que les rayons visuels de l'abandonne ne peuvent traverser.
Est-il un plus terrible eclairage que le silence, qui ne nous montre pas
une absente, mais mille, et chacune se livrant a quelque autre
trahison? Parfois, dans une brusque detente, ce silence, Robert croyait
qu'il allait cesser a l'instant, que la lettre attendue allait venir. Il
la voyait, elle arrivait, il epiait chaque bruit, il etait deja
desaltere, il murmurait: "La lettre! La lettre!" Apres avoir entrevu
ainsi une oasis imaginaire de tendresse, il se retrouvait pietinant dans
le desert reel du silence sans fin.
Il souffrait d'avance, sans en oublier une, toutes les douleurs d'une
rupture qu'a d'autres moments il croyait pouvoir eviter, comme les gens
qui reglent toutes leurs affaires en vue d'une expatriation qui ne
s'effectuera pas, et dont la pensee, qui ne sait plus ou elle devra se
situer le lendemain, s'agite momentanement, detachee d'eux, pareille a
ce coeur qu'on arrache a un malade et qui continue a battre, separe du
reste du corps. En tout cas, cette esperance que sa maitresse
reviendrait lui donnait le courage de perseverer dans la rupture, comme
la croyance qu'on pourra revenir vivant du combat aide a affronter la
mort. Et comme l'habitude est, de toutes les plantes humaines, celle qui
a le moins besoin de sol nourricier pour vivre et qui apparait la
premiere sur le roc en apparence le plus desole, peut-etre en pratiquant
d'abord la rupture par feinte, aurait-il fini par s'y accoutumer
sincerement. Mais l'incertitude entretenait chez lui un etat qui, lie au
souvenir de cette femme, ressemblait a l'amour. Il se forcait cependant
a ne pas lui ecrire, pensant peut-etre que le tourment etait moins cruel
de vivre sans sa maitresse qu'avec elle dans certaines conditions, ou
qu'apres la facon dont ils s'etaient quittes, attendre ses excuses etait
necessaire pour qu'elle conservat ce qu'il croyait qu'elle avait pour
lui sinon d'amour,
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