aint-Loup parut me croire, mais j'ai su depuis
qu'il avait, des la premiere minute, compris que mon incertitude etait
simulee, et que le lendemain il ne me retrouverait pas. Tandis que,
laissant les plats refroidir aupres d'eux, ses amis cherchaient avec lui
dans l'indicateur le train que je pourrais prendre pour rentrer a Paris,
et qu'on entendait dans la nuit etoilee et froide les sifflements des
locomotives, je n'eprouvais certes plus la meme paix que m'avaient
donnee ici tant de soirs l'amitie des uns, le passage lointain des
autres. Ils ne manquaient pas pourtant, ce soir, sous une autre forme a
ce meme office. Mon depart m'accabla moins quand je ne fus plus oblige
d'y penser seul, quand je sentis employer a ce qui s'effectuait
l'activite plus normale et plus saine de mes energiques amis, les
camarades de Robert, et de ces autres etres forts, les trains dont
l'allee et venue, matin et soir, de Doncieres a Paris, emiettait
retrospectivement ce qu'avait de trop compact et insoutenable mon long
isolement d'avec ma grand'mere, en des possibilites quotidiennes de
retour.
--Je ne doute pas de la verite de tes paroles et que tu ne comptes pas
partir encore, me dit en riant Saint-Loup, mais fais comme si tu partais
et viens me dire adieu demain matin de bonne heure, sans cela je cours
le risque de ne pas te revoir; je dejeune justement en ville, le
capitaine m'a donne l'autorisation; il faut que je sois rentre a deux
heures au quartier car on va en marche toute la journee. Sans doute, le
seigneur chez qui je dejeune, a trois kilometres d'ici, me ramenera a
temps pour etre au quartier a deux heures.
A peine disait-il ces mots qu'on vint me chercher de mon hotel; on
m'avait demande de la poste au telephone. J'y courus car elle allait
fermer. Le mot interurbain revenait sans cesse dans les reponses que me
donnaient les employes. J'etais au comble de l'anxiete car c'etait ma
grand'mere qui me demandait. Le bureau allait fermer. Enfin j'eus la
communication. "C'est toi, grand'mere?" Une voix de femme avec un fort
accent anglais me repondit: "Oui, mais je ne reconnais pas votre voix."
Je ne reconnaissais pas davantage la voix qui me parlait, puis ma
grand'mere ne me disait pas "vous". Enfin tout s'expliqua. Le jeune
homme que sa grand'mere avait fait demander au telephone portait un nom
presque identique au mien et habitait une annexe de l'hotel.
M'interpellant le jour meme ou j'avais voulu telephoner a ma grand'mere,
je n'a
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