ent essentiellement des autres. Et pourtant je ne pouvais pas
empecher que le souvenir du temps pendant lequel j'avais cru passer a
Florence la semaine sainte ne continuat a faire d'elle comme
l'atmosphere de la cite des Fleurs, a donner a la fois au jour de Paques
quelque chose de florentin, et a Florence quelque chose de pascal. La
semaine de Paques etait encore loin; mais dans la rangee des jours qui
s'etendait devant moi, les jours saints se detachaient plus clairs au
bout des jours mitoyens. Touches d'un rayon comme certaines maisons d'un
village qu'on apercoit au loin dans un effet d'ombre et de lumiere, ils
retenaient sur eux tout le soleil.
Le temps etait devenu plus doux. Et mes parents eux-memes, en me
conseillant de me promener, me fournissaient un pretexte a continuer mes
sorties du matin. J'avais voulu les cesser parce que j'y rencontrais Mme
de Guermantes. Mais c'est a cause de cela meme que je pensais tout le
temps a ces sorties, ce qui me faisait trouver a chaque instant une
raison nouvelle de les faire, laquelle n'avait aucun rapport avec Mme de
Guermantes et me persuadait aisement que, n'eut-elle pas existe, je
n'en eusse pas moins manque de me promener a cette meme heure.
Helas! si pour moi rencontrer toute autre personne qu'elle eut ete
indifferent, je sentais que, pour elle, rencontrer n'importe qui excepte
moi eut ete supportable. Il lui arrivait, dans ses promenades matinales,
de recevoir le salut de bien des sots et qu'elle jugeait tels. Mais elle
tenait leur apparition sinon pour une promesse de plaisir, du moins pour
un effet du hasard. Et elle les arretait quelquefois car il y a des
moments ou on a besoin de sortir de soi, d'accepter l'hospitalite de
l'ame des autres, a condition que cette ame, si modeste et laide
soit-elle, soit une ame etrangere, tandis que dans mon coeur elle
sentait avec exasperation que ce qu'elle eut retrouve, c'etait elle.
Aussi, meme quand j'avais pour prendre le meme chemin une autre raison
que de la voir, je tremblais comme un coupable au moment ou elle
passait; et quelquefois, pour neutraliser ce que mes avances pouvaient
avoir d'excessif, je repondais a peine a son salut, ou je la fixais du
regard sans la saluer, ni reussir qu'a l'irriter davantage et a faire
qu'elle commenca en plus a me trouver insolent et mal eleve.
Elle avait maintenant des robes plus legeres, ou du moins plus claires,
et descendait la rue ou deja, comme si c'etait le printemps, devant les
|