s melat a
la vie publique des moments de sa vie secrete, se montrant ainsi a
chacun, mysterieuse, coudoyee de tous, avec la splendide gratuite des
grands chefs-d'oeuvre. Comme je sortais le matin apres etre reste
eveille toute la nuit, l'apres-midi, mes parents me disaient de me
coucher un peu et de chercher le sommeil. Il n'y a pas besoin pour
savoir le trouver de beaucoup de reflexion, mais l'habitude y est tres
utile et meme l'absence de la reflexion. Or, a ces heures-la, les deux
me faisaient defaut. Avant de m'endormir je pensais si longtemps que je
ne le pourrais, que, meme endormi, il me restait un peu de pensee. Ce
n'etait qu'une lueur dans la presque obscurite, mais elle suffisait pour
faire se refleter dans mon sommeil, d'abord l'idee que je ne pourrais
dormir, puis, reflet de ce reflet, l'idee que c'etait en dormant que
j'avais eu l'idee que je ne dormais pas, puis, par une refraction
nouvelle, mon eveil ... a un nouveau somme ou je voulais raconter a des
amis qui etaient entres dans ma chambre que, tout a l'heure en dormant,
j'avais cru que je ne dormais pas. Ces ombres etaient a peine
distinctes; il eut fallu une grande et bien vaine delicatesse de
perception pour les saisir. Ainsi plus tard, a Venise, bien apres le
coucher du soleil, quand il semble qu'il fasse tout a fait nuit, j'ai
vu, grace a l'echo invisible pourtant d'une derniere note de lumiere
indefiniment tenue sur les canaux comme par l'effet de quelque pedale
optique, les reflets des palais deroules comme a tout jamais en velours
plus noir sur le gris crepusculaire des eaux. Un de mes reves etait la
synthese de ce que mon imagination avait souvent cherche a se
representer, pendant la veille, d'un certain paysage marin et de son
passe medieval. Dans mon sommeil je voyais une cite gothique au milieu
d'une mer aux flots immobilises comme sur un vitrail. Un bras de mer
divisait en deux la ville; l'eau verte s'etendait a mes pieds; elle
baignait sur la rive opposee une eglise orientale, puis des maisons qui
existaient encore dans le XIVe siecle, si bien qu'aller vers elles,
c'eut ete remonter le cours des ages. Ce reve ou la nature avait appris
l'art, ou la mer etait devenue gothique, ce reve ou je desirais, ou je
croyais aborder a l'impossible, il me semblait l'avoir deja fait
souvent. Mais comme c'est le propre de ce qu'on imagine en dormant de se
multiplier dans le passe, et de paraitre, bien qu'etant nouveau,
familier, je crus m'etre trompe. Je m'
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