choux, ou dans la riviere en jetant mes filets; ou bien
il me viendra une idee... n'importe sur quoi. Je decouvrirai quelque
chose, puisqu'il suffit, dit-on, d'une idee pour remuer le monde.
--Vous decouvrirez le moyen d'appliquer l'egalite a une societe qui
n'existe que par l'inegalite, n'est-ce pas? dit Henri avec un triste
sourire.
--Pourquoi pas, Monsieur? repondit le meunier avec une vivacite enjouee.
Quand j'aurai fait fortune, comme je ne veux pas etre avare et mechant,
et, comme je suis bien sur, moi, de ne jamais le devenir, pas plus que
ma grand'mere n'est venue a bout d'aimer l'anguille qu'elle ne pouvait
pas souffrir, alors il faudra que je devienne tout a coup plus savant
que vous, et que je trouve dans ma cervelle ce que vous n'avez pas
trouve dans vos livres, a savoir le secret de faire de la justice
avec ma puissance et des heureux avec ma richesse. Ca vous etonne? Et
pourtant, mon Parisien, je vous declare que j'en sais bien moins que
vous sur l'economie politique, et je n'y entends ni _a_ ni _b_. Mais
qu'est-ce que cela fait, puisque j'ai la volonte et la croyance? Lisez
l'Evangile, Monsieur. M'est avis que vous, qui en parlez si bien, vous
avez un peu oublie que les premiers apotres etaient des gens de rien, ne
sachant rien comme moi. Le bon Dieu souffla sur eux, et ils en surent
plus long que tous les maitres d'ecole et tous les cures de leur temps.
--O peuple! tu prophetises! s'ecria Lemor en serrant le meunier contre
son coeur. C'est pour toi, en effet, que Dieu fera des miracles,
c'est sur toi que soufflera l'Esprit Saint! Tu ne connais pas le
decouragement, toi; tu ne doutes de rien. Tu sens que le coeur est plus
puissant que la science, tu sens ta force, ton amour, et tu comptes sur
l'inspiration! Et voila pourquoi j'ai brule mes livres, voila pourquoi
j'ai voulu retourner au peuple, d'ou mes parents m'avaient fait sortir.
Voila pourquoi je vais chercher, parmi les pauvres et les simples de
coeur, la foi et le zele que j'ai perdus en grandissant parmi les
riches!
--J'entends! dit le meunier; vous etes un malade qui cherche la sante.
--Ah! je la trouverais si je vivais pres de vous.
--Je vous la donnerais de bon coeur si vous me promettiez de ne pas
me donner votre maladie. Et pour commencer, parlez-moi donc
raisonnablement; dites-moi que, quelle que soit la position de madame
Marcelle, vous l'epouserez si elle y consent.
--Vous reveillez mon angoisse. Vous m'avez dit qu'elle n'avai
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