nfant est parti il y a deux heures. Nous revenions d'une
longue promenade dans les montagnes, il a trouve votre lettre a la
maison. Il a couru faire son paquet, et, quoiqu'il criat la faim depuis
deux heures, il est parti sans diner, dans la voiture qui nous ramenait
de la promenade et ou nous lui avons lance une croute de pain, un
morceau de jambon et une bouteille de vin. Mais, malgre tout cela,
sera-t-il arrive a temps a Toulon pour le depart du chemin de fer? Nous
sommes a plus d'une lieue dans les terres et les chemins sont durs, les
_equipages_ de la localite ne vont pas vite, et les bateaux ne partent
pas apres le coucher du soleil. Donc, s'il n'arrive pas avant ma lettre
ou en meme temps, c'est qu'il aura eu un retard inevitable et aura ete
force de coucher a Toulon.
Ce cher enfant avait le coeur gros de quitter ce magnifique soleil et
cette vie a travers champs dans un pays splendide. Si son coeur le
rappelait pres de vous et de son pere, ses jambes et son cerveau
regrettaient l'animation des courses et la liberte du grand air; et
nous, il faut avouer que nous le retenions de jour en jour; car nous
l'aimons tendrement et c'etait plaisir de le voir vivre a pleins poumons
dans ce climat energique. Mais ni son coeur ni notre conscience n'ont
hesite devant l'appel serieux que vous lui faisiez, et, tout abasourdis,
tout chagrins du grand vide qu'il nous laisse, nous ne l'avons pourtant
pas retenu davantage. C'est un enfant excellent, un coeur d'or, une vive
intelligence, et un corps qui grandit encore, qui a des inquietudes dans
les pattes quand on le retient en place une heure, et qui a besoin de
sauter comme un poulain dans un pre. Encore un peu de temps de ces
gambades necessaires, et il travaillera; car il a, pour cela, toutes les
aptitudes et toutes les facultes voulues.
A son age, Maurice ne pouvait guere non plus s'occuper. Les garcons ont
un developpement plus tardif que nous. Il n'est devenu _piocheur_ qu'a
vingt-deux ou vingt-trois ans. Ne vous inquietez donc pas de ce besoin
de flaner. Il vous aime tant d'ailleurs, il a tant de veneration tendre
pour son pere, qu'il fera tout ce que vous exigerez. Enfin nous le
regrettons, nous desirons le revoir a Nohant, nous le chargeons bien
d'obtenir cette joie pour nous; mais nous voulons aussi que votre
volonte soit faite, _aujourd'hui et toujours_.
Ce bon Lucien vous dira que j'ai ete longtemps souffrante et patraque et
qu'il m'a souvent tenu compagnie finale
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