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seulement par imitation. La plupart n'entrent que tres peu dans les
raisons longuement deduites de l'exposition et ne s'attachent que
mediocrement aux preliminaires de l'action. Mais peu a peu l'interet
s'accroit, a mesure que la passion se degage et que sous le personnage
historique ou legendaire apparait le type humain cree et mis en scene
par le poete, c'est-a-dire a mesure que l'art se manifeste et que le
genie du poete, s'essayant a un jeu divin, infuse dans les fantomes
qu'il evoque a nos yeux la vie et toutes les passions qui en font le
charme ou l'horreur. Alors, pour peu que la decoration soit decente, que
le jeu et la declamation des acteurs s'accordent avec le texte poetique,
il arrive un moment, une scene, une situation ou l'art se manifeste sous
sa plus parfaite expression, ou tous les moyens si patiemment combines,
ou tous les efforts si longuement accumules aboutissent enfin, et ou
l'idee, arrachee de l'esprit, de l'ame et des entrailles du poete, se
degage de ses langes et se dresse a nos yeux, eclatante de verite
et toute palpitante de vie, belle dans sa nudite sans defauts comme
l'Anadyomene antique. A ce moment un trouble profond et delicieux
envahit notre etre tout entier, une angoisse inquiete, haletante nous
etreint, pareille a l'emotion de l'amant qui surprend un signe adore; un
besoin d'air et d'espace infini semble nous soulever, comme ces reves
qui nous donnent des ailes; puis a cette volupte etrange et rapide
succede un attendrissement qui se resout en larmes, et bientot la
lassitude qui suit ce moment de plaisir supreme nous permet de mesurer
la puissance de la commotion dont tout notre etre a ete ebranle. Or
cette sensation, ce n'est pas la pitie que nous inspire Iphigenie qui
nous la donne, ni la double anxiete de Chimene, ni l'enthousiasme
contagieux de Pauline, ni la rage d'Hermione; non, cette sensation, dont
le dieu nous secoue apres avoir secoue le poete, n'est autre chose que
la sensation du beau, c'est-a-dire ce trouble presque superstitieux de
stupefaction et d'admiration qui s'empare de nous, lorsque nous voyons
une ebauche faite de main d'homme se revetir soudain des signes
superieurs de la vie dont la volonte divine a marque le front de ses
creatures.
Cela est si vrai que cette sensation pourtant si forte peut etre
eprouvee, identique dans tous ses effets, aussi bien a la representation
d'une comedie de Moliere qu'a la representation d'une tragedie de
Corneille ou de Racine,
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