ce qui ne se concevrait pas si on devait en
chercher la source dans le pathetique des situations, au lieu d'y voir
un effet de la puissance de la poesie et du jaillissement de la vie, en
un mot une manifestation du beau ideal, c'est-a-dire du beau concu par
l'esprit et enferme par l'artiste dans un simulacre humain. C'est donc
en resume cette sensation reelle et tout organique qui constitue le
plaisir particulier que nous allons demander aux oeuvres classiques.
Si elle parait plus intense a la representation des oeuvres tragiques,
c'est que celles-ci exaltent notre sensibilite, et, comme d'une corde
plus tendue, nous arrachent des tressaillements plus aigus.
Cette sensation ne se produit pas toujours, soit par suite de nos
dispositions personnelles, soit par suite de celles des comediens.
Mais quand une fois on l'a ressentie, on en conserve un souvenir
imperissable; on constate en soi ce gout des grandes oeuvres dont nombre
de personnes parlent sans le connaitre, et on se sent en possession d'un
plaisir ineffable qui surpasse de beaucoup celui que pourraient nous
procurer les situations dramatiques les plus emouvantes. Quand on
s'efforce d'elever et de purifier le gout des jeunes gens, de leur
ouvrir l'esprit, de leur faciliter l'acces des oeuvres immortelles qui
sont la gloire de l'esprit humain, on travaille en definitive (que n'en
sont-ils persuades!) a leur procurer des plaisirs reels, des emotions
aussi vraies, moralement et physiquement, que toutes celles auxquelles
ils aspirent et enfin cette sensation du beau, qui est la jouissance
supreme de l'etre humain et la raison derniere de l'art.
Mais les hommes, ai-je besoin de l'ajouter, sont de complexion
differente. Aux uns, c'est la poesie qui procure seule cette sensation
du beau; aux autres, c'est la peinture, a ceux-ci c'est la musique,
a ceux-la c'est la nature. Dans le domaine litteraire, on peut la
ressentir a l'audition ou a la lecture des oeuvres les plus diverses,
et elle est d'ailleurs variable d'intensite. Si je n'ai parle que des
chefs-d'oeuvre classiques, c'est d'abord qu'eux seuls nous font eprouver
cette sensation dans toute son integrite et qu'ensuite je n'ai pas la
pretention de juger sommairement les ecrivains et les poetes de mon
epoque. Il me sera permis toutefois d'ajouter que j'ai eprouve cette
sensation du beau a la representation (pour m'en tenir au theatre) de la
plupart des oeuvres d'Alfred de Musset, dont le genie sait decouvrir et
ouvr
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