pas peur. Ainsi j'ai quatre
amants a la fois. Ce n'est pas trop quand on a comme moi les passions
vives." A dire vrai, sur les quatre il fallait en eliminer trois et garder
le seul Jules Sandeau. Elle affirme lui avoir resiste pendant trois mois a
Paris; mais deja l'intrigue avait pris naissance dans un petit bois, aux
environs de Nohant. La litterature les rapprocha. Ils collaborerent et
cohabiterent. "J'ai resolu, ecrit-elle a Charles Duvernet le 19 janvier
1831, de l'associer a mes travaux ou de m'associer aux siens, comme vous
voudrez. Tant y a qu'il me prete son nom, car je ne veux pas paraitre, et
je lui preterai mon aide, quand il en aura besoin. Gardez-nous le secret
sur cette association litteraire." Ce fut bientot le secret de
Polichinelle, a La Chatre et a Paris; mais l'associee de Jules Sandeau
n'en avait cure. Elle ne se souciait que de l'opinion de ses amis et des
profits que pouvait rapporter ce labeur en commun. "Pour moi, dit-elle,
ame epaisse et positive, il n'y a que cela qui me tente. Je mange de
l'argent plus que je n'en ai; il faut que j'en gagne, ou que je me mette a
avoir de l'ordre. Or, ce dernier point est si difficile qu'il ne faut meme
pas y songer."
Jules Sandeau, qui pretait ainsi a Aurore Dudevant la moitie de son nom et
de son appartement, etait plus jeune qu'elle de sept ans--elle n'a jamais
aime les hommes tres murs--et ni l'un ni l'autre ne possedait de notoriete
dans le monde des lettres. Elle dut donc chercher des appuis pour aborder
une carriere, de tout temps, mais alors surtout, difficilement accessible
aux femmes. Sa pension de 3.000 francs ne pouvait lui suffire. "Vous savez,
mande-t-elle a Jules Boucoiran, que c'est peu pour moi qui aime a donner
et qui n'aime pas a compter. Je songe donc uniquement a augmenter mon
bien-etre. Comme je n'ai nulle ambition d'etre connue, je ne le serai
point. Je n'attirerai l'envie et la haine de personne." Le premier
litterateur avec qui elle entra en relations fut Henri de Latouche, un
compatriote, ne en 1785 a La Chatre, qui s'exerca dans le journalisme, la
poesie, le roman et le theatre. Il edita Andre Chenier et fonda le Figaro.
Elle s'adressa egalement a M. Doris-Dufresne, le depute republicain; il la
mit en rapport avec son collegue a la Chambre, M. de Keratry, romancier a
ses heures, qui avait ecrit le _Dernier des Beaumanoir_. L'_Histoire de ma
Vie_ raconte assez plaisamment la facon dont elle se presenta chez lui, a
huit heures du matin
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