ec son madras et son tablier, et ne s'etonnait de le voir
agenouille, baisant et arrosant de ses larmes le lit d'Indiana. Elle crut
qu'il faisait sa priere. Et George Sand ajoute: "Elle ignorait que les
gens du monde n'en font pas." Noun etait naive, Indiana pareillement. Le
romancier se charge de nous en faire part: "Femmes de France, vous ne
savez pas ce que c'est qu'une creole." Desormais c'est suffisamment
explique.
Par bonheur, et pour effacer l'impression de ce pathos, il est des pages
charmantes dans la partie descriptive. Voici, notamment, un paysage
nocturne, qui encadre un rendez-vous d'amour: "Il fallait traverser la
riviere pour entrer dans le parterre, et le seul passage en cet endroit
etait un petit pont de bois jete d'une rive a l'autre; le brouillard
devenait plus epais encore sur le lit de la riviere, et Raymon se
cramponna a la rampe pour ne pas s'egarer dans les roseaux qui croissaient
autour de ses marges. La lune se levait alors, et, cherchant a percer les
vapeurs, jetait des reflets incertains sur ces plantes agitees par le vent
et par le mouvement de l'eau. Il y avait, dans la brise qui glissait sur
les feuilles et frissonnait parmi les remous legers, comme des plaintes,
comme des paroles humaines entrecoupees. Un faible sanglot partit a cote
de Raymon, et un mouvement soudain ebranla les roseaux; c'etait un courlis
qui s'envolait a son approche." Ne trouvez-vous pas dans cette peinture
des touches delicates qui rappellent le procede de Jean-Jacques et
evoquent la vision d'une toile de Corot?
Entre les divers jugements, presque tous elogieux, que provoqua _Indiana_,
nous retiendrons seulement celui d'Alfred de Musset, sans ajouter creance
a une anecdote de Paul de Musset: il pretend que son frere avait rature
sur les premieres pages du roman tous les adjectifs inutiles et que
l'exemplaire tomba sous les yeux de George Sand, cruellement atteinte dans
son amour-propre litteraire. Ce recit ne concorde guere avec la lettre et
les vers, si enthousiastes, qu'Alfred de Musset adressa, le 24 juin 1833,
a l'auteur d'_Indiana_:
"Madame,
"Je prends la liberte de vous envoyer quelques vers que je viens d'ecrire
en relisant un chapitre d'_Indiana_, celui ou Noun recoit Raymon dans la
chambre de sa maitresse. Leur peu de valeur m'avait fait hesiter a les
mettre sous vos yeux, s'ils n'etaient pour moi une occasion de vous
exprimer le sentiment d'admiration sincere et profonde qui les a inspires.
"Agree
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