folie, j'aurais pour
vous fermer ma porte des motifs plus imperieux et plus decisifs encore.
Aussi, quelle que soit l'explication que vous preferiez pour la lettre
inexplicable que vous m'avez envoyee, je vous prie absolument,
litteralement et definitivement, de ne plus vous presenter chez moi."
On sent en elle la brisure d'ame. Elle s'ouvre a celui qui fut l'ami
sincere et desinteresse de toute sa vie, l'avocat Francois Rollinat, de
Chateauroux: "Je ne t'ai pas donne signe de souvenir et de vie depuis bien
des mois. C'est que j'ai vecu des siecles; c'est que j'ai subi un enfer
depuis ce temps-la. Socialement, je suis libre et plus heureuse. Ma
position est exterieurement calme, independante, avantageuse. Mais, pour
arriver la, tu ne sais pas quels affreux orages j'ai traverses... Cette
independance si cherement achetee, il faudrait savoir en jouir, et je n'en
suis plus capable. Mon coeur a vieilli de vingt ans, et rien dans la vie
ne me sourit plus. Il n'est plus pour moi de passions profondes, plus de
joies vives. Tout est dit. J'ai double le cap."
Si, en se separant de Sandeau, elle avait tranche dans le vif, avec la
rudesse d'amputation chirurgicale qui lui etait familiere, elle souffrit
neanmoins, et tres cruellement, dans son amour et dans son amour-propre.
Sa vie et celle de son compagnon etaient si etroitement enchevetrees qu'il
y eut une liquidation difficile. Chacun dut reprendre sa part de mobilier,
mais le plus gros lot revenait a George Sand qui fournissait a peu pres
tout l'argent du menage. Sandeau en convient implicitement dans son roman
_Marianna_, ou certain Henry accepte volontiers les subsides de sa
maitresse, puisqu'ils ont tout mis en commun. Sur cette pente, on risque
de glisser jusqu'a Des Grieux.
George Sand, qui avait la bourse aussi liberalement ouverte que le coeur,
paya tout ce qu'il fallait pour reconquerir sa pleine liberte. Temoin
cette lettre, du mois de juin 1833, a un jeune medecin, Emile Regnault,
qui l'avait soignee et qui etait le grand ami de Jules Sandeau:
"Je viens d'ecrire a M. Desgranges pour lui donner conge de l'appartement
de Jules et lui demander quittance des deux termes echus que je veux payer;
l'appartement sera donc a ma charge jusqu'au mois de janvier 1834... Je
reprends chez moi le reste de mes meubles. Je ferai un paquet de quelques
hardes de Jules, restees dans les armoires, et je les ferai porter chez
vous, car je desire n'avoir aucune entrevue, aucune relati
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