a une hauteur si prodigieuse, que le grand Chicot
assure avoir vu sa jarretiere."
Ce sont la, semble-t-il, badinages de rapins, comme Henri Murger nous en
offrira a profusion dans la _Vie de Boheme_. Mais, pour esquisser le
troisieme portrait, le crayon de madame Dudevant devient plus delicat. La
caricature s'attenue. Sous les apparences de la blague, l'ironie se nuance
d'emotion ou tout au moins de discrete sympathie: "Et toi, petit Sandeau!
aimable et leger comme le colibri des savanes parfumees! gracieux et
piquant comme l'ortie qui se balance au front battu des vents des tours de
Chateaubrun! depuis que tu ne traverses plus avec la rapidite d'un chamois,
les mains dans les poches, la petite place, les dames de la ville ne se
levent plus que comme les chauves-souris et les chouettes, au coucher du
soleil; elles ne quittent plus leur bonnet de nuit pour se mettre a la
fenetre, et les papillotes ont pris racine a leurs cheveux. La coiffure
languit, le cheveu deperit, le fer a friser dort inutile sur les tisons
refroidis. L'usage des peignes commence a se perdre, la brosse tombe en
desuetude et la garnison menace de s'emparer de la place. Ton depart nous
a apporte une plaie d'Egypte bien connue."
Tandis que ses amis goutaient les delices de la vie parisienne, Aurore
n'aspirait qu'a les rejoindre. Elle se plaignait d'avoir la fievre et un
_bon_ rhumatisme, d'etre "empaquetee de flanelles et fraiche comme une
momie dans ses bandelettes." A l'en croire, elle fait a grand'peine en un
jour le voyage de son cabinet au salon, et l'une de ses jambes est aupres
de la cheminee du dit appartement que l'autre est encore dans la salle a
manger. Elle parle de s'acheter une de ces brouettes qui servent a
voiturer les culs-de-jatte. Mais, le mois suivant,--est-ce l'effet du
sejour de Paris ou du traitement de Jules Sandeau?--la guerison s'opere
comme par miracle. Elle mene la vie de l'etudiant enthousiaste et
exuberant, avide tout ensemble de travail et de plaisir.
A La Chatre, il va sans dire que cette existence, dont on exagerait les
singularites, faisait scandale. Madame Dudevant s'etait mise au ban de la
societe, et les cancans allaient leur train. "Ceux qui ne m'aiment guere,
ecrivait-elle a Jules Boucoiran, disent que j'_aime_ Sandot (vous
comprenez la portee du mot); ceux qui ne m'aiment pas du tout disent, que
j'_aime_ Sandot et Fleury a la fois; ceux qui me detestent, que Duvernet
et vous, par dessus le marche, ne me font
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