de Bourges, et vous tous qui formez une longue theorie amoureuse
derriere la Muse de _Lelia?_
A Stenio cependant elle ne peut offrir qu'une tendresse epuree, de
platoniques embrassements, "l'amour qu'on connait au sejour des anges, la
ou les ames seules brulent du feu des saints desirs." Et le jeune homme,
decu dans ses esperances et ses convoitises, lui jette cet anatheme:
"Adieu, tu m'as bien instruit, bien eclaire, je te dois la science;
maudite sois-tu, Lelia!"
Elle a bu, selon le mot de Trenmor, "les larmes brulantes des enfants dans
la coupe glacee de l'orgueil;" puis, en la solitude du couvent, elle vide
son calice parmi le secret de ses nuits melancoliques. L'homme qu'elle
pourrait aimer n'est pas ne, et ne naitra peut-etre, dit-elle, que
plusieurs siecles apres sa mort. Auparavant, il faut que de grandes
revolutions s'accomplissent, et d'abord que le catholicisme disparaisse;
car, tant qu'il subsistera, "il n'y aura ni foi, ni culte, ni progres chez
les hommes." Elle a meconnu Stenio et ne commence a en avoir conscience
que lorsqu'elle voit, "au bord de l'eau tranquille, sur un tapis de lotus
d'un vert tendre et veloute, dormir pale et paisible le jeune homme aux
yeux bleus." Alors elle assigne a celui qui n'est plus rendez-vous dans
l'eternite. Lelia prenait des echeances plus lointaines que George Sand.
Celle-la n'offrait a Stenio que des attendrissements apres deces. Celle-ci
accueillera moins fierement Alfred de Musset et lui fera meme escorte sur
la route de Venise. La dame de Nohant n'etait pas abbesse des Camaldules.
CHAPITRE IX
ALFRED DE MUSSET ET LE VOYAGE A VENISE
Le succes de _Lelia_ fut prodigieux. Ce roman symbolique, ou se retrouve
la phraseologie du romantisme, obtint l'adhesion et emporta les eloges des
critiques les plus severes, notamment Sainte-Beuve et Gustave Planche.
Celui-ci, qui epancha dans la _Revue des Deux Mondes_ son admiration de
classique impenitent, semble n'avoir ete pour George Sand qu'un ami
litteraire des plus devoues. Elle s'en explique, sans ambages, au cours
des lettres ecrites a Sainte-Beuve, en juillet et aout 1833: "On le
regarde comme mon amant, on se trompe. Il ne l'est pas, ne l'a pas ete et
ne le sera pas." Le pauvre Gustave Planche avait les charges de l'emploi,
sans en recueillir les benefices. Il poussait l'obligeance jusqu'a faire
sortir et promener, les jours de conge, le jeune Maurice Dudevant, eleve
au college Henri IV. Non content de mettre
|