e, dit-elle, a un instinct puissant de plainte et de reproche que
Dieu avait mis en moi, Dieu qui ne fait rien d'inutile, pas meme les plus
chetifs etres." Aussi bien la cause qu'elle defendait etait celle de la
moitie du genre humain, et s'elevait bien au-dessus de la poursuite d'un
profit particulier ou de l'apologie d'un interet personnel. C'est alors
qu'elle formule une theorie qui recele en substance les revendications
actuelles du feminisme: "J'ai ecrit _Indiana_ avec le sentiment non
raisonne, il est vrai, mais profond et legitime, de l'injustice et de la
barbarie des lois qui regissent encore l'existence de la femme dans le
mariage, la famille et la societe... La guerre sera longue et rude; mais
je ne suis ni le premier, ni le seul, ni le dernier champion d'une si
belle cause, et je la defendrai tant qu'il me restera un souffle de vie."
Apotre des droits de la femme dans cette preface, George Sand oublie sans
nul doute qu'elle s'est inflige a elle-meme un dementi, en ecrivant a la
page 235 d'_Indiana_: "La femme est imbecile par nature."
Si les theses proposees sont discutables et captieuses, le roman en soi
est attachant. L'intrigue n'offre aucune complication. Indiana, ame
sentimentale et romanesque, souffre aupres du colonel Delmare. Ce rude
personnage a jure de tuer quiconque braconne sur ses terres. Il atteint
ainsi, mais d'un coup de fusil charge de gros sel, un jeune voisin, Raymon
de Ramiere, qui escaladait son mur pour rendre visite a Noun, une creole,
soubrette d'Indiana. Assez vite, d'ailleurs, le Don Juan provincial est
las de la femme de chambre en tablier blanc et en madras. Il ne
demanderait qu'a passer de l'escalier de service au grand escalier. Noun
s'en apercoit et se jette dans la riviere prochaine. Indiana n'a-t-elle
rien devine ou ne s'alarme-t-elle pas de succeder a sa cameriste? Du moins
elle s'eprend de Raymon de Ramiere, malgre les adjurations de sir Ralph
Brown qui tient aupres d'elle l'emploi de soupirant volontairement
platonique. Elle suit son mari a l'ile Bourbon, mais sans pouvoir oublier
l'amour qui la possede. Dans un acces d'exaltation, elle s'embarque pour
la France, afin de rejoindre Raymon. Elle le trouve marie. Crise de
desesperance. Ralph la soigne, la guerit, et tous deux vont terminer leurs
jours dans quelque chaumiere indienne, renouvelee de Bernardin de
Saint-Pierre. Ainsi se manifeste l'apophtegme de George Sand: "L'amour est
un contrat aussi bien que le mariage." La de
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