cause par une de
ces creatures qui reclamait une pension alimentaire pour son enfant. Et
Aurore, afin de rester fidele a ses devoirs, avait ecarte la tendresse si
loyale et si profonde d'Aurelien de Seze!
Des lors, toute intimite conjugale fut supprimee. Une irreductible
melancolie s'empare d'Aurore, qui par esprit d'abnegation envers ses
enfants essaie de demeurer a Nohant, comme la chevre attachee a son
piquet. De ci, de la, on trouve quelques fugitives eclaircies de belle
humour dans sa correspondance, quand elle est a Bordeaux. Elle ecrit a son
ami Duteil, avocat a La Chatre: "Loin de la patrie, le ciel est d'airain,
les pommes de terre sont mal cuites, le cafe est trop brule. Les rues,
c'est de la separation de pierres; cette riviere, c'est de la separation
d'eau; ces hommes, de la separation en chair et en os! Voyez Victor Hugo."
Ou a son vieux Caron, le 4 juin 1829: "Comment traitez-vous ou plutot
comment vous traite la goutte, le catarrhe, la crachomanie, la prisomanie,
la mouchomanie, en un mot le cortege innombrable des maux qui vous
assiegent depuis tantot _quarante-cinq ans_ que j'ai le bonheur de vous
connaitre? Fasse le ciel, o digne vieillard, que vous conserviez le peu de
cheveux et les deux ou trois dents qui vous restent, comme vous
conserverez, jusqu'a la mort, le sentiment et le devouement de tous ceux
qui vous entourent!"
Pour remedier aux deboires de son existence, Aurore avait la consolation
de beaucoup lire--elle faisait venir de Paris les nouveautes--et de
soigner les malades de Nohant et des alentours. Elle etait mediocre
menagere, depensant 14.000 francs en une annee, quand son mari lui avait
assigne le maximum de 10.000. Dans les lettres a Jules Boucoiran,
precepteur de Maurice, ou a sa mere, elle n'a qu'une pensee dominante: la
sollicitude pour ses enfants. Le reste lui importe peu. Le spectacle de la
vie lui a donne un degout premature. Elle parle de sa sciatique, de ses
douleurs, a la facon d'une sexagenaire, et elle ajoute sous couleur de
badinage: "Je suis un peu dans les pommes cuites." Nohant, c'etait pour
elle la "stagnation permanente." Elle avait comme compagnon de ses
reveries un cricri, qui venait manger ses pains a cacheter, que d'ailleurs
elle choisissait blancs, de peur qu'il ne s'empoisonnat. Il se promenait
sur son papier, voulait gouter a l'encre, et perit ecrase par une servante
qui fermait une fenetre. "Je ne trouvai, dit Aurore, de mon ami que les
deux pattes de derri
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