vertu.
Tandis que Morbrun devorait ainsi l'espace, il cherchait un moyen ingenieux
pour tromper la surveillance de Pierre Vardouin. Des qu'il fut devant la
maison du maitre de l'oeuvre, il prit la desinvolture et la voix d'un homme
avine. Tout en trebuchant et maugreant a la facon des ivrognes, il vint
rouler avec force contre la porte exterieure. Le bruit de sa chute attira
du monde. Une fenetre s'ouvrit au-dessus de lui.
--Qui est la? dit une voix de jeune fille.
--Quelqu'un qui desirerait parler a Pierre Vardouin, repondit le sculpteur
avec accompagnement de fioritures d'ivrogne.
--Il est sorti.
--C'est ce que je voulais savoir, dit Morbrun en se redressant d'aplomb sur
ses jambes.
Puis, tirant la lettre de sa poche:
--Je viens de Norrey, reprit-il, et je vous apporte ce billet, qu'on m'a
charge de vous remettre.
Marie poussa un cri de joie et tendit la main pour saisir le billet; mais
la fenetre etait trop elevee au-dessus du sol. Alors elle ota prestement le
cordon qui faisait plusieurs fois le tour de sa taille. En moins d'une
minute le cordon fut descendu, la lettre attachee et introduite dans la
chambre. Marie fit un geste de remerciment a Morbrun et referma la fenetre.
Son coeur battit violemment, quand elle decacheta la lettre; et ses yeux se
remplirent de larmes, a mesure qu'elle avancait dans sa lecture. Voici ce
que lui disait Francois:
"Que devenez-vous, Marie? Vous rappelez-vous votre promesse?
Pensez-vous toujours a votre ami d'enfance? Oh! vous ne sauriez
imaginer combien de fois j'ai maudit le jour ou je me suis engage,
au pied du Christ, a meriter votre estime et celle des hommes! Que
me sert la gloire? Cette vaine renommee, je la donnerais pour un
instant passe aupres de vous. On repete autour de moi que mon
oeuvre est belle. Les meres seraient jalouses de voir leurs enfants
recueillir les hommages qu'on m'accorde. Mais tout cet encens, tous
ces eloges que j'avais tant desires, loin de me satisfaire, ils me
brisent le coeur! En m'imposant l'obligation de couronner dignement
mon travail, ils semblent par cela meme m'eloigner encore de vous.
Moi qui aurais voulu passer ma vie aupres de vous! Moi qui n'aurais
demande pour tout bonheur que de vous voir, de vous entendre!
"Il ne m'est donc plus permis d'ecouter votre voix, de serrer votre
main, de vous dire que je vous aime. Et pourtant j'ai soif
d'affection; mon ame es
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