somme, laissa
maitresse Gilles s'approcher a deux pas de lui, s'embarrasser les jambes
dans les bras de la voiture et tendre la main pour le saisir par le cou.
Aussitot il ne fit qu'un bond et decampa, par l'espace qui restait libre,
entre la haie du jardin et la charrette. Maitresse Gilles poussa un cri de
colere en apercevant Jacquot qui faisait de joyeuses gambades au milieu de
la cour. Mais le malin animal avait tort de se rejouir sitot de sa
victoire. Un garcon de ferme, qui revenait des champs, le surprit par
derriere, le saisit fortement a la croupe et le tint dans cette position
humiliante jusqu'a ce que maitresse Gilles et Elisabeth eussent apporte les
cannes[1] a lait, qu'on lui fixa sur le dos, et le mors, qu'on lui passa
dans les dents.
[Note 1: La _canne_ est un grand vase en cuivre dont on se sert en
basse Normandie pour traire les vaches.]
--Et surtout que je ne vous voie pas monter sur Jacquot! dit severement
maitresse Gilles en mettant les guides dans les mains de la jeune fille.
Les vaches ne sont pas si loin que vous ne puissiez aller a pied.
Trop prudente pour repondre et trop fiere pour recevoir des ordres
humiliants, Elisabeth prit le parti le plus sage en feignant de ne pas
avoir entendu la derniere injonction de sa maitresse. Elle passa les guides
a son bras et s'empressa de gagner la grande route, en tirant derriere elle
le recalcitrant Jacquot. Lorsque la jeune fille fut arrivee au haut de la
cote, moitie pour reprendre haleine, moitie pour s'abandonner a ses tristes
pensees, elle s'arreta a l'entree du petit chemin qui devait la conduire
dans l'herbage ou paissaient les vaches; et, s'appuyant les coudes sur le
dos de Jacquot, enchante du repit qu'on voulait bien lui accorder, elle se
prit a reflechir. Un vieux chene, qui se dressait sur la crete du fosse et
se penchait sur la route, protegeait la jeune fille contre les rayons deja
brulants du soleil. Les yeux d'Elisabeth suivaient tristement les nuages
cotonneux qui effacaient de temps a autre le bleu du ciel. Comme eux, sa
pensee traversait l'espace et cherchait la terre regrettee, le pays ou
s'etaient passees ses jeunes annees. Elle revoyait la maison ou filait sa
mere, ou son pere, revenu de sa rude journee de travail, la soulevait dans
ses bras pour la porter a ses levres et oublier sa fatigue dans ce doux
baiser paternel. Tout a coup le refrain d'une ronde champetre la fit
tressaillir au milieu de son isolement, comme le bruit
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