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Marie eut le malheur de survivre a son amant. A cette epoque, on n'avait
pas encore appris a se soustraire au desespoir par une mort volontaire.
Douce, affectueuse comme par le passe, la jeune fille continua d'habiter
sous le meme toit que son pere. Plus elle le voyait triste et ronge par les
remords, plus elle redoublait de soins et d'attentions. En presence d'un
tel devouement, le maitre de l'oeuvre vecut dans la persuasion que sa fille
ne se doutait pas de l'affreuse verite.
Cependant Pierre Vardouin ne pouvait se faire a l'idee de voir les plus
belles annees de Marie se consumer dans l'isolement. Le bourreau eut pitie
de sa victime. Il voulut lui preparer un avenir heureux.
Mais, au premier mot de mariage, la jeune fille se revolta. Elle repondit
simplement:
--L'eglise de Norrey n'est pas achevee. C'est la le delai que vous m'aviez
impose pour mon mariage. J'attendrai!
Ce refus porta un coup funeste au vieux maitre de l'oeuvre. Ses facultes
baisserent rapidement, et cet homme orgueilleux devint la risee et le jouet
des enfants du village. Marie seule avait le don de le distraire. Elle
consentait a mettre ses robes de fete pour amuser le pauvre insense.
Il y a certes plus de grandeur a supporter une telle existence qu'a monter
sur le bucher des persecutions; et les martyrs, dont les religions ont le
plus le droit de s'enorgueillir, sont peut-etre ceux-la meme qui ont le
courage de vivre tout en ayant la mort dans l'ame.
A partir de la mort de son pere, le temps que Marie ne consacra pas a
visiter les malheureux, elle le passa a prier sur la tombe de Francois.
Souvent, apres l'accomplissement de ce pieux devoir, elle dirigeait ses pas
vers le petit bois, voisin du village de Norrey, et s'asseyait sur le banc
de gazon ou nous l'avons vue recevoir le touchant aveu de la passion de
Francois. Alors sa pensee se reportait vers ces temps de bonheur et
d'esperance, et des larmes ameres coulaient de ses yeux.
Tous, humbles ou puissants, n'avons-nous pas un lieu de predilection, ou
promener nos regrets et exhaler notre douleur?
On raconte que Marius, lorsqu'il se promenait sur le rivage de Minturnes,
pendant que l'on preparait le navire qui devait proteger sa fuite, tournait
souvent ses regards du cote de la ville eternelle. Que lui disaient alors
ses souvenirs et son immense orgueil inassouvi? Il passait la main sur son
front, comme pour en arracher son angoisse,
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