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--Et mes chapons? s'ecria maitresse Gilles avec desolation. Qu'on aille me
chercher mes chapons!
Un garcon de ferme se detacha du groupe pour obeir aux ordres de sa
maitresse.
--Et mon agneau?
--Le voici, dit le fermier en saisissant le pauvre petit animal qui passait
a cote de sa mere. Mais il n'est pas decrotte.
--Tant pis! repondit maitresse Gilles.
En meme temps elle fit ranger toute sa petite armee de valets et se mit
a leur tete, tandis que son mari, place modestement a deux pas en arriere,
tenait dans ses bras les chapons et l'agneau. Puis elle se prepara a
marcher au devant des voitures. Mais elle s'arreta subitement, recula
en trebuchant et ne retrouva son equilibre que sur les pieds de son mari.
Le roi etait descendu de voiture, accompagne de plusieurs seigneurs de sa
suite, auxquels il montrait la maison avec des gestes qui pouvaient faire
penser qu'il avait le desir d'y entrer. Et telle etait bien son intention;
car le petit cortege se mit en marche, franchit le pont jete sur le fosse
et s'avanca dans la cour.
Maitresse Gilles n'etait pas preparee a cet evenement. Sa fermete
l'abandonna. On la vit meme trembler et jeter autour d'elle un regard
desespere, comme si elle eut appele quelqu'un a son aide. Ce n'etait plus
l'arrogante fermiere qui faisait retentir la maison de sa voix formidable;
ce n'etait plus maitresse Gilles campee fierement, les deux poings sur les
hanches, et gourmandant sans pitie les domestiques. Quant au fermier, il
n'etait pas etonnant que ses deux genoux se donnassent de frequents et
involontaires baisers. Le pauvre homme tremblait; la peur lui fit lacher
les deux chapons, qui s'enfuirent, et l'agneau, qui s'en alla promptement
rejoindre sa mere.
Cependant le roi approchait toujours. Il n'etait plus qu'a vingt pas du
groupe forme par les deux fermiers et leurs domestiques.
--Et mes mains qui sont encore toutes noires de charbon! s'ecria
douloureusement maitresse Gilles. Voyons, Jean, dit-elle a son mari, tu
peux bien recevoir le roi pendant que je vais aller les nettoyer?
--Essuie-les a ton tablier, repondit le fermier plus mort que vif.
--Et mon bonnet que je porte depuis le commencement de la semaine?
--Et mes souliers tout pleins de poussiere! repliqua le paysan.
--Et mon fichu dechire! continua la femme.
--Et mon gilet sans boutons! repondit le mari.
--Je vous repete que vous etes superbe comme cela, Jean! s'ecria maitresse
Gilles.
Aussitot ell
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