haute voix, en
invoquant Dieu et lui demandant grace avec tant de ferveur et de foi,
que je retenais mon haleine, dans la crainte de vous eveiller et
d'interrompre quelque beau reve.
--Plut a Dieu que tu l'eusses fait, mon enfant! s'ecria madame Neveu,
car ce reve avait de profondes emotions, et apres avoir failli mourir de
joie, j'en ai failli mourir de douleur.
--Vous m'avez mainte fois assuree, reprit Catherine, que les reves ont
une origine bienfaisante ou funeste, divine ou infernale, quand ils
expliquent le passe et revelent l'avenir. Telle etait sans doute
l'opinion des anciens sur la nature des songes, comme je le lisais
encore hier dans les livres de Plutarque. Mais, aujourd'hui, il vaut
mieux croire que les reves, du moins la plupart, ne sont que des efforts
incoherents de la pensee et de la memoire, qui travaillent dans une
sorte d'etat de fievre durant le sommeil.
--Je dormais, il est vrai, dit madame Neveu, mais j'avais dans mon reve
l'esprit si clairvoyant, si eveille, que je voyais les choses aussi
nettement que j'aurais pu les voir avec les yeux, si je n'etais pas
aveugle. Ainsi, j'ai vu ton frere Jacques, qui venait a moi, souriant,
les bras tendus, pour m'embrasser; je lui tendais les miens, pour le
recevoir et pour le presser sur mon coeur, mais nous avions beau marcher
l'un vers l'autre, nous restions toujours a la meme distance, moi
l'appelant a grands cris, lui me repondant avec une voix qui semblait
s'eloigner toujours et qui a fini par s'eteindre tout a fait. Comme il
etait beau! Comme il avait grand air, avec sa tete de cherubin blond,
ses yeux pleins de douceur et de tendresse, sa bouche rubiconde
entr'ouverte par un sourire, qui laissait briller ses belles dents de
nacre!...
--Chere maman, interrompit la jeune fille, je vous conjure de ne pas
vous exalter et vous emouvoir ainsi, pour un reve, qui n'est et ne peut
etre qu'un reve! Vous savez bien que mon frere n'avait pas plus d'un an,
lorsqu'il a peri dans une inondation de la Saone, et vous ne l'aviez
revu depuis le jour de sa naissance, puisque mon pere l'emporta, malgre
vos prieres, pour le mettre en nourrice....
--Cela est vrai, repliqua madame Neveu, qui fondait en larmes; je
n'avais fait que l'entrevoir quelques instants, quand il fut venu au
monde, et aussitot on me l'a enleve cruellement, helas! Puis, un an
apres, quand j'accourais, toute impatiente, toute joyeuse de le revoir,
j'appris avec desespoir qu'il n'existait plu
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