orace lui avait parle d'amour, elle avait garde dans son cerveau et
dans son coeur comme le souvenir d'une musique enivrante. Elle y pensait
le jour, elle en revait la nuit. Chaste et recueillie, elle n'aspirait
pas a un plus grand bonheur qu'a celui de s'entendre encore dire les
memes choses de la meme maniere. La pensee d'en etre a jamais privee
etait deja pour elle un regret aussi profond que si ce bonheur eut dure
des annees. Ce soir-la, elle eut donne sa vie pour etre un seul instant
avec lui, et pour recommencer le quart d'heure qu'elle avait vecu le
jour de sa premiere ivresse. Horace comprit bien son silence.
"Marthe est perdue, me dit Eugenie quand tout le monde se fut retire.
Elle ne peut plus comprendre Arsene; l'amour de celui-la est trop simple
pour des oreilles pleines des belles paroles de l'autre. Vous devriez
mener Horace demain chez la vicomtesse.
--Tu vois bien qu'il ne lui faut qu'un jour pour l'oublier, repondis-je,
car aujourd'hui il est certainement tres-epris de Marthe. Mais
pourquoi donc desesperer toujours de lui? Le jour ou il aimera il sera
transforme.
--Parle plus bas, reprit Eugenie. Il me semble qu'on doit nous entendre
de l'autre cote du mur.
--C'est le lit de Louison qui se trouve la, et elle ronfle si bien...
--J'ai dans l'idee, repondit-elle, que cette fille n'est pas si simple
qu'elle en a l'air, et qu'elle devine ce qu'elle ne comprend pas."
Malgre la surveillance assidue d'Eugenie, des regards, des mots, des
billets meme, furent echanges entre Marthe et Horace. Je proposai a
ce dernier de retourner chez la comtesse, il refusa. Je conseillai a
Eugenie de ne plus chercher a contrarier cette passion, qui semblait
vraie, et qui devenait plus ardente avec les obstacles. Louison etait
desormais la douceur et la bonte meme. Elle temoignait a Marthe une
amitie charmante; et Marthe s'y abandonnait d'autant plus volontiers,
qu'elle favorisait son amour, et l'aidait a en faire mille petits
mysteres inutiles a la trop clairvoyante Eugenie.
Un jour, Eugenie, qui etait fort souffrante, gronda Louison d'avoir
envoye Marthe a sa place en commission.
"Eh, pourquoi donc ne sortirait-elle pas comme une autre? dit Louison,
affectant une grande surprise.
--Marthe est si jolie, qu'on va la regarder et la suivre dans la rue.
--Tiens! dit Louison avec une aigreur qui perca malgre elle, dirait-on
pas qu'il n'y a qu'elle de jolie au monde? On me regarde bien aussi,
moi; mais on ne me sui
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