maudit lorgnon ne le quittait pas. La vicomtesse se
penchait a la portiere a mesure qu'il s'eloignait, et la voiture etait
tournee de maniere a ce qu'elle put le suivre ainsi de l'oeil jusqu'au
detour de la rue. Horace ne s'en apercevait que trop, et il etait au
supplice. Marthe etait mise tres simplement, mais avec une sorte de
distinction qui lui donnait toute l'apparence d'une femme _comme il
faut_. Mais, helas! elle portait un paquet dans un foulard, et c'etait
le cachet irrecusable de la grisette. Cette futile circonstance et
l'indiscrete curiosite de la vicomtesse eurent assez d'empire sur la
vanite d'Horace pour l'empecher de ceder au mouvement de son coeur. Il
hesita, se reprit a dix fois, revint sur ses pas pour donner le change;
et quand la voiture fut repartie, il se remit a courir. Marthe, qui le
croyait sur ses talons, avait juge prudent de couper a sa droite par la
rue de l'Universite, pour eviter les nombreux passants de la rue du Bac.
Elle comptait qu'il allait la rejoindre. Mais lorsqu'elle se retourna,
elle ne vit personne derriere elle; et Horace, remontant a toutes jambes
la rue du Bac jusqu'a la Seine, ne la rencontra pas devant lui.
C'est ainsi que fut perdue pour lui l'occasion de faire ecouter son
amour. Mais Louison sut bien la lui faire retrouver.
Eugenie, a peine retablie, fut forcee d'aller passer quelques jours a
Saint-Germain, pour soigner une de ses soeurs qui etait malade plus
gravement. La mansarde resta confiee a Marthe. Horace y passa des
journees entieres. Louise et Suzanne eurent soin de ne pas les troubler.
Abandonnee a son destin, Marthe ecouta cet amour dont l'expression avait
pour elle tant de charme et de puissance. Interroge par moi, Horace me
jura qu'il etait bien serieusement epris d'elle, et qu'il etait capable
de tous les devouements pour le lui prouver. J'insinuai a Marthe qu'elle
devait user de son influence pour le faire travailler; car je voyais ses
embarras grossir de jour en jour, et, si je n'eusse pourvu a ses moyens
quotidiens d'existence, j'ignore ou il eut pris de quoi diner. Cette
assistance que je lui donnais de bien bon coeur me mettait dans la
delicate et ridicule position de n'oser lui reprocher sa paresse.
Quand je hasardais un mot a cet egard, il me repondait d'un air
desespere:--C'est vrai; je suis a ta charge, et tu dois bien me
mepriser. Si j'essayais de recuser ce motif blessant pour nous deux, en
invoquant son propre interet, son propre avenir, il me
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