ique, il pense a quitter les
drapeaux americains pour rejoindre ceux de son pays: "J'avais fait le
projet, ecrit-il au duc d'Ayen, aussitot que la guerre se declarerait,
d'aller me ranger sous les etendards francais; j'y etais pousse par la
crainte que l'ambition de quelque grade, ou l'amour de celui dont je
jouis ici, ne parussent etre les raisons qui m'avaient retenu. Des
sentiments si peu patriotiques sont bien loin de mon coeur."Mais il
ne lui suffit pas que ces sentiments soient loin de son coeur; il ne
saurait souffrir qu'on les lui put attribuer. Tel est le La Fayette
primitif, avant que les lecons si positives de la Revolution francaise
et l'exemple des egarements de l'opinion soient venus le moderer a la
surface bien plus que le modifier profondement. Les anciens chevaliers,
les gentilshommes francais avaient pour culte l'honneur. Chevalier et
gentilhomme, La Fayette eut, autant qu'aucun, cet ideal delicat; mais
il arriva au moment ou il allait y avoir confusion et transformation
de l'idole de l'honneur en cette autre idole de la popularite, et il
devanca ce moment. Au lieu de viser, comme les simples et fideles
gentilshommes, a la bonne opinion de ses pairs, il visa a la bonne
opinion de tout le monde, de ce qu'on appelait le peuple, c'est-a-dire
de ses pairs aussi; il y avait, certes, de la nouveaute et de la
grandeur d'ame dans cette ambition, dut-il y entrer quelque meprise.
Quand il revient pour la premiere fois d'Amerique, La Fayette, recu,
complimente a la cour, exile pour la forme, est fete a Paris. Les
ministres le consultent, les femmes l'embrassent[73], la reine lui
fait avoir le regiment de Royal-dragons. Cependant on se lasse, comme
toujours; les baisers cessent: "Les temps sont un peu changes, ecrit-il
(trois ou quatre ans apres), mais il me reste ce "que j'aurais choisi,
la _faveur populaire_ et la tendresse des personnes que j'aime." Cette
faveur populaire, qui sonnait si flatteusement a son oreille, et qui
representait pour lui ce qu'etait l'honneur a un Bayard, fut jusqu'a la
fin son idole favorite. Il la sacrifia dans certains cas a ce qu'il crut
de son devoir et de ses serments (ce qui est tres-meritoire); mais, par
une sorte d'illusion propre aux amants, il ne crut jamais la sacrifier
tout entiere ni la perdre sans retour; il mourut bien moins en la
regrettant qu'en la croyant posseder encore.
[Note 73: Les annees en s'ecoulant permettent bien des choses. Le duc
de Laval, parlant de M. de
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